Blocage des télécommunications en RDC : Une pratique courante en Afrique
mercredi 4 février 2015
Le 20 janvier dernier, le gouvernement de la République démocratique du Congo a ordonné aux opérateurs téléphoniques du pays de bloquer l’accès, sur l’ensemble du territoire, à l’internet fixe et mobile ainsi qu’aux services de messages tels que les SMS. Cette mesure est intervenue au lendemain d’une manifestation particulièrement meurtrière à Kinshasa suite à l’annonce d’un projet de loi électorale, permettant à l’actuel président, Joseph Kabila, de briguer un nouveau mandat contrairement à ce qu’autorise la Constitution congolaise.
Dix jours après cette coupure, seul l’Internet fixe a été légèrement rétabli. Le 29 janvier, c’est au Niger que le gouvernement a ordonné le blocage des réseaux sociaux et des services SMS pendant plus d’une demi-journée. Pourtant aujourd’hui, de telles pratiques n’ont plus rien de (très) surprenantes. Ces mesures sont mêmes devenues assez fréquentes pour certains gouvernements africains, qui voient dans les moyens de communications électroniques, une menace directe au maintien de leurs pouvoirs.
Internet, SMS et réseaux sociaux : berceau des manifestations en Afrique
Ce n’est pas la première fois que la République démocratique du Congo fait place à une telle censure. Déjà en 2011, des manifestations importantes avaient eu lieu après l’annonce de la victoire de Joseph Kabila à l’élection présidentielle. Le gouvernement de la RDC avait alors bloqué l’accès aux services de SMS pendant ’environ trois semaines afin de limiter l’organisation de manifestations. Plusieurs pays africains sont aujourd’hui « connus » pour la censure et le blocage qu’ils exercent fréquemment sur leurs réseaux de télécommunications. A ce titre, des entités éthiopiennes et soudanaises font partie des « 31 ennemis de l’Internet » selon la liste éditée chaque année par Reporters sans frontière.
Le printemps arabe est aujourd’hui devenu un symbole quant à l’impact et la force que peuvent avoir les moyens de communications électroniques. Typiquement, c’est par l’intermédiaire des réseaux sociaux que la révolution tunisienne s’est véritablement organisée et concrétisée jusqu’à pousser le dictateur Ben Ali à quitter le pouvoir en janvier 2011. Le gouvernement de Ben Ali exerçait pourtant une surveillance et une censure accrue sur les télécommunications et il était fréquent que des sites comme Facebook ou Youtube soient inaccessibles pendant plusieurs jours.
Il faut cependant souligner que le niveau de blocage et de censure des télécommunications varient d’un pays à l’autre et n’est pas du tout uniforme sur le continent. Il existe ainsi une très grande disparité tenant d’abord au contexte politique de chaque pays mais aussi selon les techniques utilisées par les pouvoirs en place.
Des techniques diversifiées mais des effets limités
Ces techniques sont très diverses. D’abord, certains pays, comme en RDC, ordonnent directement aux opérateurs de télécommunications de bloquer l’accès à l’internet ou à certains contenus et services. Cela se produit notamment dans les pays africains francophones où généralement les opérateurs sont peu nombreux et proches du pouvoir. Il existe aussi le brouillage (émission intentionnelle de signaux radioélectriques destinée à interférer sur le fonctionnement des satellites) ou encore la coupure pure et simple des câbles sous-marins. Mais certains États font aussi appel à des sociétés privées (pour la plupart occidentales et ennemies de l’internet selon RSF) afin d’établir des logiciels de surveillance des utilisateurs de téléphonie mobile ou d’Internet. Ce fut le cas par exemple de la Libye sous Kadhafi qui a traité avec la société française Amesys.
Mais le véritable impact de toutes ces mesures est en fait assez limité car relatif pour la population et néfaste pour l’économie. Il est aujourd’hui devenu assez facile de contourner les blocages opérés par les pouvoirs en place. La société civile a vu se former des groupes (citoyens hackers, activistes, technophiles) destinés à dépasser les restrictions. La formation la plus connue aujourd’hui est sûrement celle d’Anonymous, qui a vu le jour en 2006. Lors de la révolte tunisienne en Janvier 2011, Anonymous a par exemple aidé à la transmission de vidéos et d’articles de dissidents Tunisiens dans le monde entier mais a aussi mis au point un « kit de secours » où était expliqué comment contourner la surveillance et les blocages du gouvernement tunisien. De même lors de l’opération Égypte lancé le 25 Janvier 2011, les Anonymous se sont associés avec le groupe Telecomix, afin de mettre en place des sites miroirs et des proxys pour aider les Égyptiens à accéder aux sites censurés.
Une violation du droit international public ?
Au delà des législations nationales et des pratiques douteuses de certains pays africains, il faut s’interroger sur la légalité de ces actes au regard du droit international. Bloquer l’accès à l’internet, censurer certains sites, empêcher des envois de SMS conduisent nécessairement à limiter voir bafouer la liberté d’information et la liberté d’expression. Ces deux libertés sont pourtant des libertés fondamentales. Pour ce qui est de la liberté d’information, elle est reconnue à l’article 19 de la DDHC adoptée en 1948 et à l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981.
L’accès aux télécommunications n’est, elle, pas une liberté reconnue « fondamentale » r mais il s’agit d’un droit et d’un objectif commun de la communauté internationale. L’Union Internationale des Télécommunications, institution spécialisée des Nations Unies pour les technologies de l’information et de la communication, a d’ailleurs été mise en place -entre autres- dans le but de garantir cet accès. L’UIT a ainsi pour mission de favoriser la croissance et le développement durable des réseaux de télécommunication et d’information, et, d’y faciliter l’accès universel.
Pourtant, ces droits et libertés connaissent des exceptions et des limites. L’article 29 de la DDHC dispose que des exceptions peuvent être émises en cas d’exigences liées à « la morale, l’ordre public, et au bien-être général de la société ». De même, l’article 19 du Pacte international des droits civils et politiques prévoit au paragraphe 2 que la liberté d’expression peut ainsi être soumise à certaines restrictions fixées par loi en vue (notamment) du respect, « (…) de la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou encore de la moralité publique ». Ces exceptions permettent ainsi le contrôle des télécommunications mais leurs légitimités et leurs mises en œuvre sont largement discutables. L’interprétation de ces articles est particulièrement subjective, changeante selon que l’on se trouve dans un régime démocratique ou non, théoriquement d’application proportionnée mais interprétée largement.
La légalité du contrôle des télécommunications est relative car subjective. Certains défendeurs de la liberté d’information considèrent que cette liberté devrait être absolue et donc sans exception, d’autres pensent au contraire que les moyens de communications électroniques doivent pouvoir être régulés voir contrôlés. Au niveau international, deux visions s’opposent et les condamnations de la communauté internationale sont en réalité rares voir inexistantes. L’absence notable d’une lecture universelle de la liberté d’information pose aujourd’hui problème quant à la réglementation en matière de contrôle des télécommunications.
Myriam Kitar
(Source : IREDIC, 4 février 2015)
Sources :
– ANONYME, « Niger : les réseaux sociaux rétablis sans explication », rfi.fr, publié le 21 janvier 2015, consulté le 29 janvier 2015, http://www.rfi.fr/afrique/20150123-niger-retablissement-internet-facebook-reseaux-sociaux-medias-liberte/
– CHAMPEAU (G.), « La RDC rétablit (un peu) internet après l’avoir coupé plusieurs jours », numerama.com, publié le 29 janvier 2015, consulté le 29 janvier 2015, http://www.numerama.com/magazine/32050-la-rdc-retablit-internet-un-peu-apres-l-avoir-coupe-plusieurs-jours.html
– OLIVIER (M.), « Internet, mobile, SMS : quand nos Etats misent sur la censure », jeuneafrique.com, publié le 29 janvier 2015, consulté le 29 janvier 2015, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150129121936/