Big Brother sur le Net au Sénégal
lundi 19 mai 2008
Le contrôle des médias est une chose essentielle pour un pouvoir. Georges Orwell, père du concept de « cet oeil qui contrôle tout », Big Brother, a décidément inspiré les juristes de Me Wade. Maintenant, l’internet est le premier pouvoir. Tout s’(y) passe. Même s’il comble un vide juridique, les projets de loi que le gouvernement sénégalais vient de présenter à l’Assemblée nationale (et dont l’issue est connue d’avance) visent principalement, après les prétextes de légiférer sur des choses devenues lieux communs, à asseoir les bases d’une rétention de libertés de sites internet.
Devenus la principale source d’information des décideurs, des Sénégalais de l’extérieur, et de tous ceux qui ont accès aux technologies de l’information, la presse en ligne est en ligne de mire des tenants du pouvoir. Et pour cause, actuellement, au Sénégal, il y a un développement fulgurant de sites d’information on line. La liberté de la presse y est totale. Surtout, beaucoup de questions de l’heure y sont posées, avec une liberté de ton frisant, parfois la sédition. Manifestement, cela n’a pas l’heur de plaire au pouvoir. Il est vrai que les possibilités qu’offre l’internet sont grosses de possibilités pour des délits de tous genres.
En tout cas, depuis le début de l’année, le gouvernement dirigé par Haguibou Soumaré a décidé de sévir. Certes, un vide juridique vient d’être comblé. Le gouvernement pense que « malgré les démarrages de l’intranet gouvernemental, le développement du recours à l’informatique dans l’administration, la numérasiation du fichier électoral et de la carte d’identité nationale, entraînant ainsi la génération, la collecte et le traitement des données à caractère personnel, le droit positif Sénégalais ne fixait pas le cadre et le régime juridique de ces opérations. »
Finis les pseudos !
Mais, il n’est pas exclu que la fameuse et controversée question de la signature électronique ne concerne en fait que l’identification des animateurs des journaux en ligne. Un projet de décret relatif aux communications électroniques pris pour l’application de la loi N° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques résume la question. Il apporte, selon le gouvernement, des précisions sur les conditions d’exercice et de responsabilité des prestataires techniques, d’exercice du droit de réponse dans un service de communication en ligne, de transmission électronique de documents ou actes administratifs.
La nouvelle loi dispose que les administrateurs de sites d’information ont l’obligation de subir un contrôle ; ils sont affublés du vocable de « prestataires techniques ». Ici, la Sonatel, principale « provider », ou encore fournisseur d’accès, qui est dans un processus de rupture totale avec l’Etat dans son actionnariat (16% lui y restent), est clairement visée. Déjà, les services de sécurité bénéficient toujours de ses services pour « les remontées d’appel » quand des malfaiteurs font la « bêtise » de communiquer via des cellulaires compromis.
La fameuse loi dit que les « prestataires techniques » doivent procéder à toute activité de surveillance ciblée ou temporaire des informations qu’ils transmettent ou stockent, « demandée par l’autorité judiciaire, en vue de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication électronique. » Un important chapitre de la loi parle de « Conservation des éléments d’identification personnelle ». Il mentionne expressément que « les prestataire techniques » déférent dans les meilleurs délais aux demandes des autorités judiciaires visant à obtenir, soit les données de nature à permettre d’identifier l’auteur d’un contenu qu’ils hébergent, soit les données portant sur l’identification des personnes utilisatrices des services qu’ils fournissent.
Mieux, l’article 12 du projet de décret dit que « les prestataires techniques ont une obligation de résultat en matière de conservation des données de nature à permettre l’identification de quiconque qui a contribué à la création du contenu en ligne. » Si toute activité doit se faire dans un cadre légal, il est clair que certaines dispositions de la loi tendent à légitimer la censure de sites d’information jugés trop indépendants ; la presse écrite et les radios ayant déjà reçu leur dose de brides.
La pornographie et les sites séditieux sont officiellement visés ; mais y a t-il seulement un moyen pour l’Etat de contrôler l’accès à ces portails ? De plus, les sites d’information en ligne au Sénégal les plus réputés développent des « filtres » pour que les injures et autres diffamations n’en soient la base. Et, finis les pseudos sur le net.
(Source : Nettali, 19 mai 2008)