Basile Niane, journaliste blogueur, made in Dakar, Sénégal
vendredi 26 octobre 2012
Dakar, au cœur de l’été sénégalais. Tout près de l’Avenue Cheikh Anta Diop, saturée par les embouteillages « d’avant-coupure » – familièrement l’heure où l’on rompt le jeune pendant le Ramadan, dans un complexe qui fait à la fois station-service, petite-épicerie, fast-food bon marché et point wifi gratuit, je rencontre Basile Niane. Journaliste blogueur, comme il se définit lui-même, il accepte d’évoquer sans détour la situation des blogueurs au Sénégal et le nouveau visage des réseaux sociaux dans le pays. Il me livre ses espoirs, ses ambitions. Et ses rêves.
Basile Niane, pur produit de la génération Y, made in Sénégal.
C’est au contact de ses grands frères « qui suivaient une formation en maintenance » que le jeune Basile attrape le virus de l’informatique et du web. « Quand internet est arrivé avec son lot de sites comme Skyblog, tout le monde avait envie de créer son blog, de partager ses idées. Moi, j’ai ouvert les miens dès 2005 – j’avais envie de me consacrer à plusieurs sujets. » Aujourd’hui, seuls deux blogs ont résisté au temps : « le blog sur les nouvelles technologies, Senegal Médias et le blog sur ce que je vis au quotidien, ce qui m’arrive du matin au soir, Je blogue donc je suis, via Mondoblog, la plateforme collaborative de RFI« .
Mais le web ne lui suffit pas. Basile veut devenir journaliste, « parce que je voulais découvrir le monde, voyager, voir comment les autres vivent ». Et même s’il ne voyage pas autant qu’il le voudrait, il s’estime comblé par « le web et par l’ouverture aux autres qu’il lui apporte ».
Désormais, Basile Niane est journaliste-web pour Seneweb, portail d’information générale sur le Sénégal, chroniqueur sur les nouvelles technologies à la RTS – la Radio Télévision Sénégalaise, community manager de nombreuses pages Facebook (allant de 30 000 à 100 000 fans), blogueur, bien sûr, mais pas seulement.
Le réseau des blogueurs du Sénégal
Soucieux de fédérer la blogosphère sénégalaise, il coordonne « le réseau des blogueurs du Sénégal » dont il est impossible d’évaluer le nombre dans la réalité, « qui fédère pour le moment une petite quarantaine de blogueurs, tous très actifs sur la toile. Ici, nombreux sont les gens qui bloguent mais qui soit ne veulent pas faire partie d’un réseau, soit préfèrent rester discret ».
Car des sujets sensibles, il y en a : « la religion en est un, bien plus que la politique par exemple. Qui ose bloguer ouvertement sur ce sujet ici ? En tous cas, moi, je n’oserai pas ! C’est trop personnel, c’est la foi qui parle. Il faut respecter son prochain, ses croyances. Et puis pour certain, c’est trop tôt pour ouvrir ce type de débats. »
Au Sénégal, le blogging est balbutiant
Bien qu’il suive la tendance internationale, Basile estime que c’est « encore un phénomène balbutiant » et souffre du manque de reconnaissance de ses pairs : « quand tu parles de ce sujet dans le pays, on ne t’accorde aucun crédit ! Nous en sommes encore au vieux débat journaliste vs blogueur. On ne donne aucune importance à notre travail ».
Si la communauté internationale a souligné le travail extraordinaire des blogueurs comme les actifs sur les réseaux sociaux lors des élections présidentielles d’avril 2012, « aujourd’hui encore, personne n’en a parlé dans le pays ». Mais Basile garde espoir en l’avenir : « qu’elle le veuille ou non, la vieille école devra évoluer, comprendre et accepter que le monde évolue et qu’il est libre de dire ce qu’il veut ». Et d’avoir pour objectif la reconnaissance des nouveaux métiers (blogueurs, community manager, etc.) et de « faire du Sénégal un pays vraiment connecté, avec plus de blogueur et avec encore plus de liberté d’expression ».
Facebook et Twitter au Sénégal
Pour la plupart des sénégalais, les réseaux sociaux sont uniquement des moyens pour s’amuser, draguer… Les mentalités évoluent, mais – trop ? – lentement. Sans pour autant se priver de cette manne, Basile utilise Facebook pour « la visibilité » de ses articles : « j’ai très peu de commentaires sur mon blog mais beaucoup d’interactions sur Facebook, qui accapare les passerelles, c’est indispensable ». Il juge « Twitter beaucoup plus sérieux » et transmet via l’oiseau et son pseudo, @basileniane, « surtout des informations ». Une ligne de conduite qu’il s’impose, par respect pour tous ceux qui le suivent – et ils sont nombreux !
Moi qui connait bien le pays, où les pannes d’électricités sont récurrentes et le réseau 3G assez honéreux, je me demande comment il s’organise pour twitter : « j’ai la chance d’avoir un abonnement et une clé 3G pour avoir une connexion quasi permanente pour me déplacer. Je peux donc twitter un peu partout, quasiment en live ». A Dakar, beaucoup de wifi sont en accès libre ce « qui permet de twitter d’un coup tout ce que tu as pris, ainsi que tes photos dès que tu captes un réseau ». Dans le reste du pays, par contre, c’est beaucoup plus compliqué : « l’accès à la connexion est très difficile, il y a des coupures ou des plages horaires pour avoir accès au courant ». Encore une fois, l’espoir que les choses changent conclue le sujet : « Notre nouveau président est sensible aux nouveaux médias, il a utilisé les réseaux pendant sa campagne et s’est appuyé sur internet. Personne n’en mesure encore l’importance, mais ça va aller… »
#Kebetu
Les twittos sénégalais – environ 12 000 selon les estimations – se regroupent sous le #kebetu (la bavardage, le pepillement d’un oiseau en wolof). Par cet intermédiaire, ils souhaitent montrer que l’Afrique et les Africains ont aussi la capacité à crééer. Avec la volonté également de rassembler sous un seul étendard les Sénégalais du monde entier, réunis en une communauté et pouvant s’exprimer dans la langue de leur choix : le wolof, mais aussi l’anglais et quelque fois du français.
Sunucause ou la volonté de montrer un autre visage du réseau social
Notre discussion touche à sa fin. Depuis que nous avons commencé, @cypher07, @aamyjane, @mageniang, @paouz, @docboum en tout une dizaine de personne (pardon pour ceux que je n’ai pas cité) sont venus s’assoir à notre table… J’assiste en réalité à une rencontre entre blogueurs et twittos qui « se sont tous connus sur le réseau ». Et qui ont voulu démontrer que l’on ne fait pas « que s’y amuser, que discuter, que la puissance du réseau a du sens, aussi importante qu’elle peut aussi sauver un bébé ». Ainsi est né Sunucause, véritable projet humanitaire via le web. La première pierre pour soigner un bébé atteind d’une maladie de peau, l’Ichtyose. Au moment de notre rencontre, ils avaient déjà récolté plus d’1 millions de FCFA qu’ils comptaient utiliser pour acheter les pommades nécessaires au traitement. Depuis, leur action ne s’est pas arrêté là puisque Sunucause s’est mobilisé en faveur des sinistrés des inondations qui ont frappé le pays en aout/septembre dernier et organise un grand concert humanitaire.
Basile Niane est une véritable tête de blog : « je blog donc je suis, c’est ma tête à moi » conclut-il. Tandis que je termine ce post, il en aura déjà écrit plus d’une cinquantaine, écrivant tous les jours depuis ses débuts, en véritable passionné.
(Source : Tête de blog, 26 octobre 2012)