Babacar Touré : « La RTS évoque quasi exclusivement le camp du Oui » au référendum
mardi 15 mars 2016
Au Sénégal, alors que la campagne pour le référendum constitutionnel est officiellement ouverte depuis le 12 mars, l’instance de régulation de l’audiovisuel s’efforce, sans grand succès, de faire respecter l’équitable accès aux médias entre partisans du Oui et du Non...
Propagande déguisée, publi-reportages, questions orientées, affichage à sens unique… Difficile, pour le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), de faire respecter la neutralité de la couverture médiatique de la campagne pour le référendum du 20 mars. Président depuis 2012 du CNRA, Babacar Touré, l’ancien PDG du Groupe Sud Communication, s’en explique à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Quelles sont les attributions du CNRA en période de campagne électorale ?
Babacar Touré : Elles ne sont pas différentes, dans leur nature, des missions que nous assumons tout au long de l’année. Le CNRA est chargé de faire respecter les règles de pluralisme, d’éthique et de déontologie, les lois et règlements en vigueur ainsi que les cahiers de charges et les conventions régissant l’audiovisuel au Sénégal. Dans un contexte électoral, il s’agit essentiellement de garantir, de manière renforcée, une certaine équité dans l’accès aux médias des différents candidats ou coalitions de partis.
Quels sont les principaux manquements que vous avez pu constater depuis l’annonce officielle du référendum, le 16 février ?
Le texte de référence pour diagnostiquer ces manquements, c’est l’article L.61 du code électoral. Celui-ci dispose que « durant les trente jours précédant l’ouverture de la campagne officielle électorale, est interdite toute propagande déguisée ayant pour support les médias nationaux publics et privés ». Le texte explicite ensuite le concept de propagande déguisée. Concernant la période de la campagne, deux interdits sont formulés : l’utilisation, à des fins de propagande électorale, de tout procédé de publicité commerciale dans les médias, autrement dit les publi-reportages ; et l’utilisation des biens ou moyens publics pour faire campagne, afin de garantir l’égalité entre les candidats. Malheureusement, ces dispositions ne sont pas respectées.
Pouvez-vous en donner des exemples ?
En ce qui concerne le service public audiovisuel, nous constatons que la Radiodiffusion Télévision sénégalaise (RTS) évoque quasi exclusivement le camp du Oui. Elle se livre par ailleurs à de la propagande déguisée, par exemple en faisant la promotion du Oui au référendum sous des prétextes détournés. Ce fut le cas, par exemple, à l’occasion de la célébration de la Journée de la femme, le 8 mars, ou encore, de manière plus flagrante, lors du conseil national du parti au pouvoir, le 7 mars. L’opposition n’est pas en reste, mais elle a plutôt investi certains médias privés, notamment des sites d’information en ligne apparemment acquis à sa cause. On pourrait également parler de l’affichage massif en faveur du Oui auquel procèdent les autorités. Or il faut savoir qu’en période de campagne électorale, les attributions du CNRA s’étendent à tout support de communication contribuant à la campagne.
L’argent est en train d’accentuer le caractère déséquilibré du traitement médiatique de la campagne, à travers la publicité politique
Et en ce qui concerne les médias privés ?
Globalement, ils assurent une représentation plus équitable des deux courants, même s’il arrive que la composition des plateaux, lors de certains débats, soit discutable et contribue de manière déguisée à privilégier le courant du Non. Il y a aussi parfois des questions orientées qui traduisent un certain parti-pris du journaliste. Enfin, nous sommes vigilants face aux publi-reportages en faveur d’un camp ou d’un autre. Dans divers médias, l’argent est en effet en train d’accentuer le caractère déséquilibré du traitement médiatique de la campagne, à travers la publicité politique.
Vous disposez de différents moyens de sanction face à ces manquements. En faites-vous usage ?
Le CNRA préfère s’en tenir à une approche pédagogique, en procédant à des interpellations correctives argumentées. Si l’on devait sanctionner à tout bout de champ, cela affecterait le système médiatique et l’opinion de manière importante et pourrait même déboucher sur des troubles à l’ordre public. Il s’agit plutôt de repenser le système de fond en comble, afin d’améliorer les pratiques professionnelles et l’offre programmatique.
Vos mises en demeure récentes ont-elle été suivies d’effets ?
Certains médias privés ont tenu compte de nos observations. Mais concernant l’audiovisuel public, nous avons le sentiment de prêcher dans le désert. Quand une chaîne a la puissance publique derrière elle, le sentiment d’impunité l’emporte. Le service public audiovisuel n’en fait qu’à sa tête – et à la tête du client –, ignorant superbement les principes inscrits dans les textes. « La religion du roi est celle des sujets », semble-t-on penser. Seulement la République, qui est d’abord l’affaire des citoyens, s’accommode mal des pratiques d’accaparement et d’exclusion. D’ailleurs, je doute que de telles pratiques rendent service au pouvoir en place, aujourd’hui comme hier. Après deux alternances, le Sénégal mérite mieux que ce qui lui est imposé à l’heure actuelle.
Mehdi Ba
(Source : Jeune Afrique, 15 mars 2016)