Baba Zoumanigui, Dg Ibm Afrique francophone : « Permettre aux Africains de lancer leurs propres solutions digitales »
jeudi 7 décembre 2017
Ancien Directeur Général de Ibm au Sénégal, avant d’entamer sa carrière internationale au sein d’Ibm, Baba Zoumanigui, est aujourd’hui en charge de la Direction générale de la zone Afrique francophone, de la compagnie informatique américaine. Ce sénégalais, diplômé de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et de l’Université du Québec (Canada), revient dans cette interview sur son rôle et les grands projets d’Ibm pour l’Afrique.
Vous êtes le directeur général de Ibm en Afrique francophone. En quoi consiste exactement votre rôle ?
Mon rôle est de trois niveaux. Le premier niveau, c’est que nous essayons d’accompagner à la fois les clients et les administrations dans leur développement en utilisant la technologie comme étant un levier de croissance. La deuxième partie de mon rôle est de faire émerger une nouvelle génération de compétences et de leaders africains pour supporter cette croissance. Ce n’est un secret pour personne que l’Afrique a un grand déficit de compétences et donc nous essayons aider à faire développer ces compétences à la fois directement par les personnes que nous embauchons et indirectement avec notre soutien que nous apportons au monde de l’éducation. La troisième partie de mon rôle, c’est que nous avons la conviction que l’entreprise doit être citoyenne, c’est-à-dire doit contribuer au développement du pays par un certain nombre d’initiatives. Nous avons un grand rôle à jouer, c’est pourquoi nous sommes un peu présents dans la région. Lorsque l’on parle d’Ibm, la plupart des gens pensent spontanément aux ordinateurs, serveurs et autres matériels informatiques. Mais Ibm a amorcé, depuis plusieurs années déjà, un virage stratégique mettant en place la transformation d’une compagnie centrée sur la vente de matériel informatique vers une multinationale qui a pour cœur de métier les logiciels et les services, pour devenir, aujourd’hui, un leader du cloud, du cognitif, de l’intelligence artificielle.
Votre compagnie est en train de développer des projets en Afrique comme « Ibm Digital Nation Africa ». Pourquoi ce projet et en quoi peut-il avoir un impact sur la culture du numérique en Afrique ?
D’abord, il faut définir c’est quoi le cloud. C’est d’abord de l’énergie informatique. De la même manière quand quelqu’un a besoin d’électricité, il ne fabrique pas une petite centrale pour lui tout seul. Aujourd’hui, les gens font de l’informatique localement avec ce qu’il faut. Imaginons, demain, pour avoir à la fois du stockage, de la puissance de calcul, de l’impression, vous avez juste à planter une prise et à bénéficier de ses ressources-là qui sont installées quelque part dans le continent ou en dehors. C’est cela le cloud. Dans un monde où il y a un déficit d’infrastructure, le fait de pouvoir concentrer une certaine ressource et puissance de calcul dans un endroit et donner aux gens l’utilisation, et à la demande, c’est formidable. C’est un accès à des données, à une puissance de calcul, etc. Les projets de type « Ibm Digital Nation Africa » n’ont pas d’autre vocation que de dire que nous prenons cette puissance de calcul, cette ressource, pour la mettre au service de maximum d’Africains pour que chacun puisse se connecter et faire quelque chose, c’est-à-dire apprendre un métier, apprendre à programmer. Nous en sommes à une phase d’investissement, de design. C’est un projet de longue haleine. Ce n’est pas demain que tout va être disponible, mais nous y travaillons sérieusement avec des partenaires, des pays, de manière à offrir, dans les années à venir, à tous les Africains, quel que soit le lieu géographique, la capacité d’utiliser cette ressources. « Ibm Digital Nation Africa » a été lancé en début d’année. Il s’agit d’un investissement de 70 millions de dollars pour le développement des compétences technologiques en Afrique autour du numérique, du cloud et du cognitif. Ce programme offre une plateforme d’apprentissage gratuite basée sur le cloud Ibm Bluemix, qui hébergera des programmes éducatifs destinés à 25 millions de jeunes africains durant les cinq prochaines années. Cette initiative va permettre aux citoyens, aux entrepreneurs ainsi qu’aux différentes communautés africaines de disposer des outils et technologies pour développer et lancer leurs propres solutions digitales.
Concrètement, comment des pays comme le Sénégal pourrait gagner dans ce projet de « Ibm Digital Nation Africa » ?
Je lisais dernièrement que la construction d’une classe dans une école coûtait 7 millions de FCfa. Si c’est pour un collège, ce sera vers une quarantaine de millions.
Compte tenu de la raréfaction des ressources, est-ce qu’on ne peut pas avoir une approche du développement qui ne consiste qu’à construire des classes et y mettre des tables-bancs et des professeurs sans compter les coûts ?
Aucun pays ne peut se permettre cela avec la raréfaction des ressources. A partir du moment où nous pouvons mettre des moyens centralisés, efficaces, à la demande, en fonction des profils des gens, on offre à chaque individu, en fonction de son métier et du portefeuille de métiers qui existe, la possibilité d’apprendre à son domicile ou bien dans des pôles informatiques. Le coût moyen du transfert de l’éducation par individu s’en trouve nécessairement amoindri. C’est ce débat qu’il faut poser sur la table.
L’informatique doit aller dans ce sens-là ; quand nous constatons aujourd’hui que le coût ne cesse de baisser et les capacités de stockage phénoménales. Je lisais dans le projet du Plan Sénégal émergent quelques volets du « Sénégal Numérique » qui sont très forts avec un premier point qui est l’accès au réseau. C’est un premier point très important ; la création de valeur là où l’informatique peut faire de la différence, notamment dans les domaines du commerce, de la médecine, etc. L’autre aspect qui est la diffusion d’outils de programmation de développement, d’éducation à travers des réseaux, sont des axes forts du Plan Sénégal émergeant qui ne peuvent être soutenus que par le numérique.
Propos recueillis par Oumar Ndiaye
(Source : Le Soleil, 7 décembre 2017)