Sidy Diagne : « Nous avons l’ambition d’un Netflix, mais avec des contenus essentiellement africains »
mardi 22 octobre 2019
Pour la télévision numérique terrestre (TNT) sénégalaise, tout s’est noué en août 2014, quand, à la différence de nombreux États africains qui ont choisi pour la transition de l’analogique au numérique un opérateur étranger, le gouvernement a adopté une approche totalement différente. À la suite d’un appel d’offres international, le choix s’est porté sur le groupe Excaf Telecom, une entité dépendant du groupe Excaf, créé en 1972 par Ben Bass Diagne et aujourd’hui dirigé par son fils Sidy Diagne. Pour en mesurer l’importance, il y a lieu de savoir qu’Excaf est une sorte de mastodonte local dans le domaine des médias. Avec près de 600 collaborateurs, le groupe fait tourner 2 chaînes de télévision qui lui sont propres, 14 stations de radio disséminées à travers le pays, dont 4 à Dakar. Last but not least, il dispose d’un bouquet TNT payant par lequel il propose 80 chaînes locales et thématiques, 15 chaînes nationales gratuites contre un abonnement mensuel de 5 000 francs CFA (près de 7,6 euros). Élément important : Excaf Telecom entend jouer la carte locale à fond. Aussi, dans la logique d’une plus grande présence de contenus locaux, il s’est impliqué, en collaboration avec d’autres structures de télécommunications, en l’occurrence Okay TV et Wassa, dans la diffusion du « combat royal » qui a opposé, le 28 juillet dernier, pour la conquête du titre de « roi des arènes », Modou Lô et Eumeu Sène. Il s’est agi d’un combat de lutte qui soit dit en passant est le sport national au Sénégal, loin devant le football.
Ce « combat royal » a tenu en haleine tout le pays les mois qui ont précédé le choc entre ces deux grands champions. Mais, au-delà de la dimension sportive, il symbolise assez bien la volonté à la fois d’une plus grande proximité avec le public du Sénégal profond mais aussi d’une plus grande démocratisation de l’espace audiovisuel avec un souci d’installer des infrastructures très avancées technologiquement autant en ville que dans les zones rurales. La dimension culturelle du « combat royal » le justifie d’ailleurs entièrement. Et les images qui suivent son déroulé en sont une illustration des plus convaincantes. Pour la petite histoire, c’est Modou Lô qui est devenu « roi des arènes » à l’issue d’un combat qui s’est terminé par un K.-O. subi par Eumeu Sène. De quoi relancer le débat sur la violence supposée de la lutte sénégalaise « avec frappe », dont le philosophe Souleymane Bachir Diagne a rappelé qu’il avait été popularisé dans les années 1920 par un Français du nom de Maurice Jacquin. À en croire Dominique Chevé, cité dans Jeune Afrique.com par notre consœur Marième Soumaré, « la lutte avec frappe » avait déjà été pratiquée au Sénégal, notamment dans le royaume du Cayor, à localiser aujourd’hui autour de la région de Thiès.
Au-delà du contenu local dont ce combat est un aperçu, plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans le basculement de l’analogique au numérique. Sidy Diagne nous les a livrés en se confiant au Point Afrique.
Le Point Afrique : En quoi aujourd’hui la mise en place de la TNT est-elle cruciale pour un pays comme le Sénégal ?
Sidy Diagne : C’est d’abord un engagement fort de l’État au niveau international pour libérer les fréquences destinées à la diffusion analogique et permettre aux opérateurs de télécommunications d’accéder à l’Internet à haut débit. L’autre aspect est de permettre à tous les acteurs de l’audiovisuel d’étudier la plénitude des services, des moyens et toute l’interactivité nécessaire aujourd’hui pour satisfaire les usagers. À un certain moment, les éditeurs avaient besoin de leviers de croissance. Passer au numérique va y aider. Pour Excaf, l’enjeu est de montrer que nous disposons d’une bonne expertise locale en la matière, ce qui va bien sûr participer à assurer la pérennité de la société.
L’enjeu technique est évident. Qu’en est-il des autres aspects ?
Au-delà de l’enjeu technique, la TNT va véritablement impacter le Sénégal dans la manière de regarder la télévision et de voir l’audiovisuel. Aujourd’hui, le numérique va placer l’usager au centre de toutes les préoccupations, au cœur des actions des producteurs, des éditeurs, avec tous les supports qui seront mis en place. L’usager, à travers tous les services que lui offre cette transition numérique, va pouvoir décider de ce qu’il va regarder, de ce qu’il va faire. Il y a une interactivité qui va être créée qui va lui permettre de donner son avis sur les contenus.
Les téléspectateurs, les usagers vont-ils donc pouvoir vivre la télévision ou le produit digital d’une autre façon ?
Oui, certainement. Bien plus que cela, ils seront les arbitres de tout ce qui peut être créé pour eux. Ça passera par la qualité des contenus et des productions. Car on s’est rendu compte que les abonnés-clients sont de plus en plus exigeants. Et c’est de bonne guerre. Dans la mesure où ce sont eux qui décident, ils doivent avoir en retour les services qu’ils méritent.
Malick Diawara
(Source : Le Point Afrique, 22 octobre 2019)