Cri de détresse des opérateurs mobiles. S’ils ne le lancent pas haut et fort, c’est à peu près ce que les opérateurs mobiles des Etats-Unis d’Amérique disent en sourdine. On le savait déjà depuis le 21 janvier 2015 après les révélations du journal américain spécialisé en TIC et télécoms, The Information, confirmation en a été faite le 2 mars 2014 à Barcelone lors du Mobile World Congress 2015, la grand-messe du mobile. Le géant américain de l’économie numérique a annoncé son entrée dans le segment du mobile en devenant opérateur mobile virtuel (MVNO) aux Etats-Unis.
Le célèbre moteur de recherche, par la voix de Sundar Pichai, chargé de produits à Google, a précisé que la société n’a pas vocation (pour le moment ?) à devenir un opérateur à grande échelle comme le sont les leaders du marché tels AT&T ou Verizon aux Etats-Unis. Sundar Pichai voit plutôt en ce partenariat avec Sprint et T-Mobile, dont les réseaux seront utilisés par Google, un moyen pour le moteur de recherche de tester les trouvailles de ses laboratoires, ses innovations, et d’inciter les acteurs du mobile à les adopter. Officiellement, il ne s’agira donc pas de donner des tarifs moindres que AT&T ou Verizon, même si cela peut arriver.
Pas sans doute suffisant pour calmer les esprits des opérateurs, car l’on ne sait pas encore clairement les objectifs non avoués de cette entrée inquiétante (pour les opérateurs mobiles) de Google dans leur segment d’activité. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un concurrent comme les autres. Il est question d’affronter sur le même segment de marché un As de l’internet. Doté d’atouts extraordinaires et démesurés. Parmi ses forces, il faut relever Android, le système d’exploitation de smartphones le plus répandu des Etats-Unis, édité par Google et que la moitié des détenteurs de téléphones intelligents utilise. Probablement, le géant américain veut tester Android et d’autres applications sur un réseau dont il maîtrise les paramètres. Et après quoi ? Là est toute la question qui se pose. Avec la percée du mobile money et son succès en Afrique, il n’est pas exclu que le géant de l’internet ait l’ambition d’offrir l’achat de ses multiples services via le paiement mobile. Ce qui serait une révolution importante.
Fournisseur d’accès Internet
« Au secours ! Google arrive ! » Le même cri de détresse pourrait également être lancé par les fournisseurs d’accès Internet (FAI). Le moteur de recherche ne souhaite pas seulement se lancer dans la téléphonie mobile. Il a commencé bien avant l’annonce de son entrée dans le mobile à offrir la fibre optique aux Américains. Présentement, Google propose aux particuliers une connexion Internet à la vitesse maximale d’1 Gbit/s et son offre inclut un service de diffusion de 200 chaînes de télévision HD. Cette offre est opérationnelle dans les agglomérations de Kansas City, Provo (Utah) et Austin (Texas). Mais en 2014 Google avait proposé à 34 villes situées dans neuf zones métropolitaines des Etats-Unis d’y déployer son offre de réseau Google Fiber. Une offre accessible à partir de 70 dollars HT par mois pour une connexion symétrique à 1 Gbit/s et 1 To d’espace de stockage dans le cloud. Pour bénéficier de la télévision HD, il faut débourser 200 dollars.
Et l’Afrique dans tout cela ? Il serait naïf de croire que Google ne compte pas dupliquer un jour en Afrique les services qu’il expérimente aux Etats-Unis. Toutes les études et la plupart des cabinets de conseils le montrent à suffisance. L’Afrique est considérée comme un relais de croissance pour les grands opérateurs télécoms. La couverture réseau n’est pas complète dans toutes les localités africaines et de nombreux opérateurs investissent des milliards de francs CFA pour connecter et offrir la téléphonie mobile aux localités vierges n’ayant pas accès aux réseaux de télécommunications. Google ne saurait rester en marge de cette tendance. D’ailleurs, sa branche africaine a déjà clairement déclaré son ambition d’être un FAI en RD Congo. Tidjane Deme, le responsable du bureau francophone de Google, a rencontré Thomas Luhaka, le vice-Premier ministre congolais, ministre des Postes, des Télécommunications, des Nouvelles technologies de l’information et de la communication, en février 2015 à Kinshasa, où il a présenté l’ambition du moteur de recherche de fournir une connexion haut débit dès son installation à Kinshasa afin d’accompagner le pays de manière efficace dans son développement économique. Sans oublier de mentionner qu’avant la RDC, Tidjane Deme, dans une « démarche d’exploration », s’est entretenu avec Thierry Lézin Moungalla, le ministre des Postes et des Télécommunications du Congo Brazza, pour évaluer avec lui les opportunités d’affaires dans le secteur de l’internet.
Les autres projets du géant américain en Afrique, comme le projet Loon destiné à offrir le WiFi dans les zones non couvertes en réseaux de télécommunications via des ballons dirigeables, ou encore le projet O3B (Other Three Billion) qui consiste à lancer dans l’espace de petits satellites pour connecter les autres trois milliards de personnes sur terre qui n’ont pas accès à l’internet le montrent à suffisance. Il appartiendra donc aux départements Recherche et Développement des opérateurs mobiles et fournisseurs d’accès Internet de l’Afrique de préparer la concurrence du géant. Trois solutions gratuites : l’investissement, l’innovation et le rapprochement vers Google pour d’éventuels partenariats ou collaborations. Il faudrait aller au-delà de l’imagination et offrir des services innovants, incontournables et accessibles aux bourses des Africains. Ce sera le prix de la survie.
Beaugas-Orain Djoyum, rédacteur en chef du magazine Réseau Télécom
(Source : Agence Ecofin, 2 mai 2015)