Au-delà du conflit Rts/Walf Tv : Les enjeux de la régulation de l’audiovisuel
jeudi 31 janvier 2008
La plupart des téléspectateurs ont vécu avant et au cours de la Mtn Can Ghana 2008 le conflit ayant opposé la Radiodiffusion télévision sénégalaise à certains opérateurs privés et en particulier à Walf Tv. Ayant toujours milité en faveur de la coexistence harmonieuse et dynamique d’un service public fort et d’un secteur privé viable, je continue à penser que des solutions existaient qui auraient permis, par anticipation et dans le strict respect des droits acquis par la Rts, d’aller vers un scénario de partage, de complémentarité, de rentabilisation effective des coûts par le dialogue confraternel, la bonne foi et le respect des uns et des autres. J’ai essayé de m’y employer en qualité de président de l’Association privée des producteurs et télévisions d’Afrique (Appta) pour faciliter la mise en place d’un dispositif cohérent permettant au bout du compte de satisfaire toutes les parties prenantes et principalement le public. Cette démarche de conciliation n’a pas pu aboutir au Sénégal. L’affaire ayant pris une tournure judiciaire, soin sera laissé aux tribunaux de dire le droit.
Je me réjouis toutefois du strict respect des droits de diffusion par l’ensemble des membres de l’Appta d’une part et de la démonstration faite au Cameroun par la diffusion tant sur la Crtv (public) que sur certaines chaînes privées dont Stv que j’ai l’honneur de diriger, de la possibilité de mise en œuvre de stratégies concertées et ‘win-win’ entre acteurs publics et privés qui se vouent du respect, au-delà de leurs ambitions légitimes et de la nature juridique de leurs structures.
Mon propos ici est d’aller à la racine du problème que j’évoque depuis des années : l’absence d’un cadre juridique clair portant organisation de la communication, notamment privée au Sénégal, celle d’une régulation efficace et de notoriété publique et plus encore la question des pouvoirs réels de l’autorité de régulation qu’est aujourd’hui le Conseil national de la régulation audiovisuelle (Cnra).
Si, en effet, il y a eu une véritable ‘politique de l’autruche’ et que les parties en sont venues à la barre, c’est que le système de régulation a été inefficient même si l’article 7 de la loi créant le Cnra oblige ledit organisme ‘à veiller à la libre et saine concurrence entre les entreprises de communication audiovisuelle’. Donc le juge judiciaire, le juge de l’urgence n’avait rien à faire dans cette affaire d’après l’opinion de certains juristes consultés pour les besoins de ce papier. En effet, le conflit Walf/Rts pose plus un problème de concurrence et de régulation que les traditionnels questions d’exercice de droits subjectifs : Ce genre de problèmes risque de se poser à chaque fois qu’il y aura un événement de portée nationale, voire mondiale que les Sénégalais voudront regarder. La finale de la coupe du Sénégal a été, au mépris de toutes les règles de gestion économique et du principe d’un ‘radiodiffuseur hôte’, produite simultanément par deux chaînes de télévision. Le principe et la saine pratique professionnelle auraient voulu que la captation fût assurée par l’une ou l’autre chaîne au nom et pour le compte de la fédération qui aurait pu la mettre à disposition directe ou différée de toute chaîne intéressée.
Mais, entre nous, que peut bien faire le Cnra si les acteurs pensent détenir le ‘sésame ouvre-toi’ directement de la clé de voûte des institutions qu’est le chef de l’Etat ? Que peut bien faire le Cnra qui n’a pas son mot à dire dans l’octroi des licences aux opérateurs privés et qui apprend l’entrée en scène des acteurs sur la voie publique au même titre que le citoyen lambda ? Que peut bien faire le Cnra si les règles de concurrence, de transparence et de non-discrimination, les cahiers de charges ne sont pas du domaine public et précisent les modalités de programmation, l’origine des programmes, la tenue de registres d’antennes et la possibilité de visites de contrôle à tout moment et tutti quanti ?Que peut bien faire le Cnra sans le dispositif législatif, réglementaire, humain et technique approprié dans un pays qui veut jouer les premiers rôles et qui vient d’instituer le premier master professionnel en droit de la régulation au sein de l’Université Cheikh Anta Diop ? Que peut bien faire le Cnra perçu le plus communément et d’abord par les professionnels de l’audiovisuel et de la communication comme un producteur de communiqués sous-outillé et sans pouvoir de sanctions réel et de coercition là où sous d’autres cieux une telle autorité est aux avant-postes de l’architecture constitutionnelle ?
Il n’est jamais tard pour bien faire. Le flou artistique autour de la libéralisation de l’audiovisuel au Sénégal doit cesser et obéir à des règles juridiques et professionnelles claires, transparentes et efficaces. Le Sénégal doit repenser ici et maintenant le cadre de la communication tant publique que privée. A côté des infrastructures techniques, l’infrastructure communicationnelle doit exister avec autant de grandeur et de visibilité.
Le secteur de la Communication connaît de plus en plus, à travers le monde, y compris en Afrique, de sérieuses et profondes mutations dans ses techniques, ses contenus, ses modes d’organisation rendant impérative l’évolution des textes législatifs et réglementaires pour tenir compte de la nouvelle donne médiatique. Aujourd’hui, la libéralisation répond ainsi à des impératifs de développement, à des défis et demandes multiples d’ordre social, démocratique, éthique, déontologique et économique conformément à l’esprit et à la lettre de la Constitution, notamment en son Titre II consacrant les libertés publiques et de la personne humaine, les droits économiques et sociaux et les droits collectifs.
Dans le but de veiller à l’effectivité de ces droits et conscients des multiples enjeux, du dynamisme et des effets structurants de la communication, les pouvoirs publics doivent marquer leur volonté de créer un cadre réaménagé et propice à la coexistence et au développement harmonieux du secteur public et du secteur privé avec des règles claires et applicables à tous les opérateurs. Ces règles marquent le souci d’une rationalisation du paysage audiovisuel national en se fondant sur des principes institutionnels fondamentaux qui sont notamment :
– la liberté comme principe directeur avec l’extension de la libéralisation du monopole d’Etat à la télévision ;
– l’accomplissement de formalités d’autorisation ou de déclaration des activités visées par la loi portant communication audiovisuelle ;
– la mise en place d’une autorité indépendante de régulation à compétences élargies ;
– le principe de concurrence saine et loyale afin de prévenir les concentrations et abus de position dominante ;
– l’égalité de traitement des opérateurs et des usagers et la non-discrimination ;
– la transparence ;
– l’application des sanctions réprimant tout manquement aux dispositions légales et réglementaires ;
– la nécessité d’une prise en charge accrue des problèmes culturels et des cibles sensibles : enfance, handicapés, personnes âgées ;
– le financement du service public par un ou des systèmes cohérents, stables et adéquats aux missions assignées ;
– le plafonnement de la publicité dans le service public et l’observation de règles au sein du secteur privé (volume etc.) ;
– la ferme volonté de stimuler l’émergence d’une production audiovisuelle nationale et panafricaine suffisante et de qualité pouvant contribuer à l’essor des industries culturelles et à la création d’emplois, notamment de jeunes.
Je ne suis pas loin de penser, surtout avec l’accélération du phénomène de la convergence technologique, à un modèle anglo-saxon où la seule et même autorité de régulation s’occuperait des télécommunications et de l’audiovisuel, comme cela existe dans certains pays d’Afrique de l’Est. Si tout système comporte des avantages et des inconvénients, celui-ci a l’avantage de rationaliser les moyens humains et financiers et d’éviter que l’audiovisuel, apparemment et de facto moins rentable que les télécommunications, ne soit relégué au second rôle avec la portion congrue. Ainsi une ‘fusion’ de l’Artp, du Cnra et, peut-être même, de l’Agence de l’informatique de l’Etat (Adie) au sein d’une même entité, renforcée sur tous les plans et possédant des directions opérationnelles efficaces, ne me semble nullement inopportune ou utopique.
Quels que soient les points de vue, le débat serein, positif et prospectif mérite d’être posé.
Mactar SILLA
Docteur-es-Lettres, Juriste
Président de l’Appta
Directeur général de Stv1 & Stv2 (Cameroun)
(Source : Wal Fadjri, 31 janvier 2008)