De quoi s’agit-il ? L’Afrique, représentée par le président Wade, était allée à Genève pour se faire entendre. L’Afrique était allée pour affirmer sa présence et non simplement, comme cela a été, pendant très longtemps, souvent le cas, jouer aux figurants d’un film dont l’instant décisif lui échappe. L’Afrique était allée, non pas comme simple invité, mais comme acteur légitime dans ce qui se joue d’essentiel sur la scène mondiale. Oui, nous vivons une époque profondément marquée par l’émergence d’un nouvel espace de compétition dont la maîtrise commande le succès de toute entreprise de progrès social, économique, scientifique, culturel et intellectuel. L’information, au sens anglo-saxon, est devenue le biais pour l’accès aux ressources, lequel accès est la base pour qu’enfin chacun goûte aux fruits de l’effort collectif et individuel et se sente heureux et joyeux sur cette terre condamnée à être une et indivisible. C’est qu’en effet, la révolution informationnelle qui se déroule sous nos yeux n’est pas seulement propre à un secteur de la vie des nations. Elle est transversale, pour ne pas dire « radiale » pour utiliser le jargon des experts. Nous voici dans la possibilité, jadis inimaginable, d’accéder à l’information à la vitesse de la lumière, dans la possibilité, jadis insoupçonnée, de bénéficier des ressources de la recherche et de la formation à partir d’un terminal, dans la possibilité inouïe d’accéder aux ressources de la médecine grâce à la télé-médecine, dans la possibilité d’améliorer sensiblement des productions agricoles et des procédés de transformation à peu de frais, dans la possibilité de communiquer, de plus en plus, dans l’espace-monde à moindre coût. Il est aujourd’hui établi que si les Etats-Unis ont atteint leur niveau de développement, ainsi que l’Europe, ainsi que le Japon, ainsi que les pays dits émergents, c’est grâce aussi et surtout à de puissants systèmes d’information qui ont été des paramètres, et non simplement des variables, dans la maîtrise de leur environnement et des flux d’échanges dans le monde, mais aussi des boulevards ouverts de l’invention et l’innovation. Oui, l’information est en train de réorganiser le monde, de redisposer l’espace et de changer les figures et les représentations que nous avons toujours eues du temps, donc de l’emprise sur nos destins. Or, le marché de l’information est aujourd’hui largement dominé par l’Amérique du Nord (plus de 60%), l’Europe et le Japon (environ 30%) et le reste réparti entre les autres parties du monde, avec moins de 1% pour l’Afrique. Enjeu politique donc, mais simplement enjeu humain avec de forts relents existentiels. Là réside le sens et la portée de l’exercice de Genève qui n’est qu’une étape dans un processus motivé par ce constat de taille que l’humanité ne peut être celle de tous si des milliards d’individus sont maintenus à la marge de ce qui est en train de tisser son devenir et qui peut être un formidable raccourci dans le long combat contre la misère et l’injustice. En d’autres termes, Genève est un jalon dans la lutte contre ce qui a été nommé gap numérique, ou encore fracture numérique, ou encore fossé numérique grâce au principe de solidarité numérique proposé, défendu et vulgarisé par le président Wade. Principe de solidarité aujourd’hui accepté par l’ensemble de la Communauté internationale. Mais, comment traduire ce principe dans la réalité, afin que les pays les moins nantis ne soient pas les lointaines banlieues de la révolution qui se déroule sous nos yeux ? Avec l’Afrique et tous les pays du Sud, le président Wade a proposé l’idée d’un Fonds de solidarité numérique comme mécanisme spécifique. Le principe est retenu et le Fonds existe déjà avec des participations financières et des annonces de participation. Que certains « grands » pays suggèrent qu’il y ait une étude ne peut nullement amoindrir cet acquis. Et nos confrères du quotidien français « Le Monde » (édition du dimanche 14-lundi 15 décembre 2003, p. 5) l’ont parfaitement perçu : « Bref, la proposition sénégalaise a pris corps- modestement, mais résolument- avant l’assentiment général des Etats. M. Wade avait eu la perspicacité de ne pas se tourner seulement vers les circuits étatiques de l’aide publique au développement, et de proposer, par exemple, une contribution d’un dollar sur l’achat de tout ordinateur ou toute autre formule de participation volontaire ou privée. Cette démarche est en passe de séduire ». Une telle démarche continuera d’autant plus de séduire qu’elle est soutenue, et elle est soutenue parce qu’elle correspond à une aspiration générale des peuples du Sud et des bonnes volontés du Nord. Voilà pourquoi l’Afrique, qui en a été l’auteur par le biais du Sénégal et de son président, Coordonnateur du Volet, entre autres, des Nouvelles technologies de l’information et de la communication du Nepad, doit renforcer son engagement et sa mobilisation afin que le Fonds de solidarité numérique bénéficie effectivement à ses peuples. Non pas seulement du point de vue de l’accès aux infrastructures, mais aussi en tant qu’acteur majeur dans la création et la diffusion des contenus, autre question discutée depuis les premières initiatives préparatoires du Sommet mondial de la société de l’information. L’Afrique doit être ainsi fière d’avoir été à l’origine d’un consensus mondial sur la base de concepts qu’elle a elle-même proposés.
EL HADJ HAMIDOU KASSE
(Source : Le Soleil 17 décembre 2003)