Au Mali, les entrepreneurs du numérique défient les obstacles et inspirent la jeunesse
mercredi 15 octobre 2014
Après l’exploration du Sénégal et de son écosystème startup en plein boom, sur la route de TECHAfrique se trouvait le Mali... et ses multiples défis. En effet depuis 2012, le Mali doit affronter de nombreux obstacles : instabilité politique, maintien de la sécurité dans le Nord du pays, tensions géopoliques... et un taux de pauvreté qui frôle les 45%. Chaque jour, ce pays sahélien qui compte 14,5 millions d’habitants et possède une immense jeunesse (le pays compte l’un des taux de fécondité parmi les plus élevées au monde) doit croire un peu plus en lui-même.
Aujourd’hui à Bamako, entreprendre, innover, créer de la valeur, lancer sa startup devient une alternative, une façon d’aller de l’avant malgré les difficultés. « Face aux nombreux blocages rencontrés dans les secteurs économiques traditionnels, les nouvelles technologies permettent une certaine agilité pour démarrer et développer des initiatives » m’expliquait Aliou Yattassaye, startupeur malien, durant notre rencontre à Bamako.
Aliou Yattassaye a lancé en 2013 le YuvSmart, premier smartphone entièrement conçu au Mali et aujourd’hui commercialisé dans tout le pays grâce à un partenariat noué avec l’opérateur télécom Orange Mali. Cet entrepreneur veut aujourd’hui corriger certaines idées reçues : « à l’étranger, on se représente le Mali comme étant un pays très peu connecté, en retrait de tout. Alors qu’ici on dénombre 20 millions de cartes SIM pour 14 millions d’habitants. La pénétration mobile est ici très, très importante, ce qui veut dire qu’il y a des opportunités, un marché à créer et à développer localement ».
Autre avantage que l’on met souvent en avant à Bamako, le positionnement géographique : « le Mali constitue de facto un Hub en Afrique de l’Ouest : le pays relie par exemple le Sénégal à la Côte d’Ivoire et donc au Golfe de Guinée », conclut Aliou Yattassaye. Son rêve à l’horizon 2017 ? Que les versions futures du YuvSmart, aujourd’hui assemblé en Asie pour être réexporté au Mali, soit demain intégralement assemblé sur le sol malien pour ensuite être distribué dans les pays voisins.
D’autres entrepreneurs se saisissent du numérique pour donner un second souffle à des secteurs vitaux pour l’économie malienne, comme par exemple la promotion du tourisme. Tombouctou, Gao, Djené... le Mali, qui repose sur un passé prestigieux, possède un patrimoine culturel immense. C’est le défi et la mission du projet « Quand le Village se réveille », une initiative visant à recueillir, numériser et diffuser les traditions et la culture malienne via une application dédiée sur Smartphone, avec à la clé l’équipement en matériel informatique de villages ruraux traditionnels et la création d’emplois locaux. Porteur de l’initiative, Boukary Konaté vient tout juste de boucler avec succès une campagne de financement participatif qui donne le coup d’envoi de ce projet.
Si des initiatives isolées voient le jour çà et là dans le numérique, il n’en demeure pas moins que tout reste à faire dans cette nation où, parmi les entrepreneurs, le manque de confiance et la culture du secret dominent. Ce qui pénalise l’émergence d’une véritable culture entrepreneuriale basée sur le partage, la transmission du savoir, l’interaction. Sans mentionner les besoins immenses en infrastructures, du manque de compétences, de l’absence de fonds d’investissements. Ainsi que du manque de vision nationale en faveur des entreprises TIC et de l’absence d’incubateurs alors qu’ils se développent fortement partout ailleurs en Afrique de l’Ouest.
Des entraves qui n’ont pas empêché les premières communautés Tech de s’auto-organiser de façon autonome autour de Jokkolabs Bamako, le premier espace de coworking du Mali qui joue aujourd’hui un rôle d’animation et de dissémination des savoirs parmi les membres de la communauté Tech malienne. L’espace de coworking organise chaque mois des formations ciblées sur les logiciels libres, l’entrepreneuriat, le code informatique ou encore la géolocalisation. Et accueille en moyenne à chaque session plusieurs dizaines de participants : les premières graines qui demain, partageront à leur tour, animeront, construiront le futur écosystème numérique malien.
Pour avancer, le Mali peut et doit se tourner vers un atout immense : sa diaspora technologique. Car ils sont de plus en plus nombreux, principalement depuis la France, à vouloir venir tenter leur chance dans leur pays d’origine. Comme la startup franco-malienne E-Market Africa. Fondée par la jeune chef d’entreprise Fatou Sidibé, cette startup spécialisée dans le e-commerce alimentaire se développe fortement au Mali en partenariat avec les universités locales, tout en créant en parallèle de la valeur et bientôt des emplois en région parisienne.
Fabrique de codeurs-entrepreneurs basée à Montreuil, ville connue comme étant l’un des bastions de la diaspora malienne à travers le monde, l’école de code informatique Simplon.co fait également ce pari. L’école s’implantera bientôt à Bamako, avec le soutien d’Orange, pour sensibiliser et former au code informatique les futurs startupeurs maliens. Et accompagner ces entrepreneurs de la Diaspora de plus en plus décidés à faire du numérique l’une des conditions indispensable au rebond. De quoi inspirer, de nouveau, la jeunesse malienne. Et redonner espoir.
Samir Abdelkrim
(Source : Huffingtonpost, 15 octobre 2014)