Après douze ans de régime de l’alternance quelles perspectives pour le secteur des TIC ?
samedi 31 mars 2012
La victoire de Macky Sall lors du second tour de l’élection présidentielle du 25 mars 2012 clôt un cycle d’une douzaine d’années pendant lesquelles M° Abdoulaye Wade a présidé aux destinées du Sénégal. Le moment est donc venu d’esquisser le bilan des politiques publiques relatives à la société de l’information mises en œuvre durant cette période. D’emblée, il faut souligner que M° Abdoulaye Wade a manifesté un intérêt particulier pour les technologies de l’information et de la communication (TIC) avant même d’accéder à la magistrature suprême ce qui lui a valu de se voir confier la coordination du volet TIC du NEPAD peu de temps après son accession au pouvoir. L’importance accordée aux TIC sera confirmée dès février 2001 avec la création d’un ministère de la Communication et des nouvelles technologies qui disparaitra cependant de l’organigramme gouvernemental en mai 2001, suite à un remaniement ministériel, et verra la gestion du secteur des TIC confiée au Secrétariat général du gouvernement jusqu’en novembre 2002. Autre décision importante, la suppression en juin 2001 de la Délégation à l’informatique (DINFO), qui n’avait guère brillé par ses réalisations, et son remplacement par la Direction de l’informatique de l’Etat (DIE) qui sera transformée en Agence de l’informatique de l’Etat (ADIE) en juillet 2004 et qui s’est distinguée par la mise en place d’un intranet administratif couvrant les régions et les départements et qui est un des principaux leviers de la modernisation de l’Etat. Enfin, l’année 2001 a vu l’adoption d’un nouveau code des télécommunications créant notamment une Agence de régulation des télécommunications (ART) dont les prérogatives seront étendues au secteur des postes en 2006 pour donner naissance à l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP).
Retrouvant le droit de cité au sein du gouvernement en août 2003, le secteur TIC verra défiler dix ministres en onze ans, cette instabilité institutionnelle ayant notamment pour conséquence de complexifier les relations entre la tutelle et les acteurs du secteur et d’entraver l’élaboration d’une stratégie nationale en matière de société de l’information qui, jusqu’à présent, fait défaut au Sénégal. Les TIC occuperont cependant la une de l’actualité pendant plusieurs années suite à la proposition faite par M° Abdoulaye Wade, dans le cadre de la préparation du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), de créer un fonds de solidarité numérique destiné à lutter contre la fracture numérique, projetant ainsi sur la scène nationale et internationale l’image d’un pays à la pointe du combat pour l’utilisation des TIC au service du développement au moins en paroles si ce n’est en actes. A partir de juillet 2004, l’Etat décidera de libéraliser totalement le marché des télécommunications, au grand dam de la Sonatel qui aurait bien voulu jouir encore pendant quelques années de son monopole sur le fixe et l’international. L’année suivante verra la publication d’une lettre de politique sectorielle du secteur des télécommunications prévoyant le lancement d’un appel d’offres pour l’octroi d’une licence globale de télécommunications. Dans la foulée, les autorités élaboreront une Stratégie de croissance accélérée (SCA), s’appuyant sur des grappes porteuses parmi lesquelles les TIC et les téléservices, dans le but de faire du Sénégal un pays émergent à l’horizon 2015. Afin d’adapter l’environnement législatif et réglementaire aux nouveaux défis posés par l’utilisation croissante des TIC dans la vie quotidienne des citoyens et favoriser le développement d’une économie numérique, le Sénégal se dotera en 2008 d’une loi d’orientation sur la société de l’information (LOSI) complétée par trois textes portant sur la protection des données à caractère personnel, la cybercriminalité et les transactions électroniques dont un des résultats sera la création de la Commission nationale de protection des données personnelles (CNDP) qui, jusqu’à présent, n’a guère fait parler d’elle.
Ces années ont également vu la multiplication des stations de radios commerciales et communautaires de même que l’élargissement du paysage audiovisuel sénégalais avec la création de près d’une dizaine de chaines de télévision privées, cette dernière avancée s’étant cependant déroulée dans l’opacité la plus totale. La régulation des médias audiovisuel a également évolué avec la suppression du Haut conseil de l’audiovisuel (HCA) créé en 1998 et son remplacement par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) en 2006 qui a pleinement joué son rôle lors de la dernière campagne électorale. Coté régulation des télécommunications, bien que prévu par le code des télécommunications de 2001, ce n’est qu’en 2007 que sera créé le Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT) qui ne sera opérationnel qu’à partir de février 2010 mais se verra privé de l’essentiel de ses ressources à partir de mars 2011 suite à l’affectation de 95% du montant de la taxe l’alimentant au profit du Fonds spécial de soutien au secteur de l’énergie et verra son fonctionnement bloqué par le transfert de sa direction à la Commission nationale de la connectivité (CNC) en octobre 2011 en contradiction avec les dispositions du code des télécommunications adopté en février 2011 pour intégrer les directives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et les actes additionnels au traité de la Communauté économique Des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en vue de créer un marché harmonisé des télécommunications en Afrique de l’ouest. La seule initiative prise dans le cadre du FDSUT, à savoir le projet pilote de service universel de Matam lancé en mai 2010, a été un fiasco total puisque jusqu’à présent ses réalisations sont invisibles alors qu’il était censé être fonctionnel au bout de six mois. Les dernières années du régime de l’Alternance ont été marquées par la multiplication des taxes frappant le secteur des télécommunications avec l’instauration de la Redevance d’utilisation des télécommunications (RUTEL) dont le taux originel de 2% fut porté par la suite à 5%, puis de la Contribution au développement du service universel des télécommunications et du secteur de l’énergie (CODETE) et pour finir la taxe sur les appels internationaux entrant au Sénégal qui sera à l’origine d’un bras de fer, toujours en cours, entre le gouvernement et principalement la Sonatel qui en conteste l’opportunité et la légalité.
La période a d’ailleurs été marquée par des relations heurtées avec les opérateurs de télécommunications puisque dès octobre 2000, les nouvelles autorités ont annoncé le retrait de la licence de téléphonie mobile accordée en 1998 à Sentel sous prétexte du non-respect du cahier des charges. En réalité, l’objectif était de lui faire payer 100 milliards de FCFA pour être autorisé à poursuivre ses activités. Transféré par Sentel devant le Centre international de règlement des différends liés aux investissements (CIRDI), le contentieux est toujours pendant devant ce tribunal arbitral et ce plus d’une décennie après son éclatement ! De même, la Sonatel a vu sa demande de licence 3G bloquée sans raison pendant près de deux ans alors qu’Expresso avait procédé au lancement de son réseau 3G avec le soutien public du Président de la république ! De plus, des scandales en tous genres ont éclaboussé le secteur avec pas moins de quatre directeurs qui se sont succédé à la tête de l’organe de régulation en une décennie, le coup de force contre Sentel déjà évoqué, l’attribution dans des circonstances plus que douteuses de la licence globale à Sudatel, la signature, cassée par l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP), du contrat signé entre Global Voice Group et l’ARTP pour le contrôle des appels internationaux entrant au Sénégal, la gestion nébuleuse du FDSUT, etc. L‘affairisme d’une poignée d’individus tapis dans l’appareil d’Etat a ainsi pris en otage le secteur des TIC au point que rien n’était possible sans passer sous leurs fourches caudines.
Au final, il ressort que le régime de l’alternance, qui disposait pourtant d’importants atouts, a été synonyme d’occasions manquées, d’initiatives inhibées, de bonnes idées gâchées, de découragement des bonnes volontés, etc. du simple fait que les hommes et les femmes qui auraient pu concevoir et mettre en œuvre les politiques publiques adéquates ont été, dès le départ, systématiquement marginalisés, au profit de ceux qui avaient décidé de faire du secteur des TIC leur chasse gardée. Afin de renverser cette situation, qui a fait perdre du temps et des opportunités à notre pays, il est de la responsabilité des nouvelles autorités de faire un état des lieux sans complaisance, mettre de l’ordre et de l’éthique dans le secteur, élaborer une stratégie nationale dynamique, créer des mécanismes de suivi et des cadres concertation, donner la priorité au secteur privé national, garantir l’accès du plus grand nombre aux opportunités offertes par les TIC et libérer les énergies créatrices qui permettront au Sénégal de bâtir une société de l’information inclusive, solidaire, ouverte, prospère, en adéquation avec les valeurs et les besoins de ses citoyens tout en s’inscrivant dans la perspective de l’intégration africaine.
Olivier Sagna
Secrétaire général