Amadou Top, le grand marabout de l’Internet, Portrait - Musulman, sénégalais, informaticien, et, surtout, gourou de l’Internet, l’avenir du Sénégal, selon lui. par Nathalie Lamoureux
vendredi 26 janvier 2001
Il aurait pu partir travailler à l’étranger. Mais Amadou Top, 53 ans, a l’Afrique chevillée au corps. Il est donc resté à
Dakar, et bien lui en a pris. Car, entre la capitale du Sénégal, Abidjan et Conakry, il est devenu le gourou du web, le
marabout de la Toile.
Dieu sait, pourtant, que cet ingénieur informaticien, formé à Dakar et à l’Inria en France, a reçu des propositions pour prendre son envol vers l’Occident !
Le bogue de l’an 2000 et le décollage de l’Internet ont fait exploser les besoins en matière grise des grands groupes industriels et donné du lustre aux
informaticiens du tiers-monde. Mais lui a toujours dit non. Non au départ, non à l’argent facile, non à la facilité tout court.
Question d’éthique personnelle. Musulman pratiquant, d’origine modeste, Amadou Top se définit comme un « irréductible monogame », marié depuis
vingt-sept ans à une ingénieur chimiste et père de trois enfants. Sur les rails, quoi ! Sauf que le grain de folie est là, patent. Sinon, pourquoi faire la
promotion de l’Internet en Afrique ? Ici, les coupures d’électricité sont aussi fréquentes qu’inattendues. Se brancher sur le Net est un défi permanent. Et
trouver des lignes téléphoniques, une gageure. Sur les 13 000 villages de la campagne sénégalaise, à peine 3 000 sont équipés. Sans parler de
l’analphabétisme, qui touche encore au Sénégal près de 65 % de la population...
Sensibiliser la population
« L’Internet, chez nous, réplique Amadou, royal, est une chance économique formidable pour notre pays. » Et de reprendre le discours qu’il sert
régulièrement aux politiques africains : l’impact d’une telle innovation sur les connaissances, la création d’emplois... « Faire un diagnostic médical à
distance peut nous permettre de pallier le manque de médecins et le fait que les ambulances tombent en panne tous les 10 mètres », explique-t-il. Un
discours bien rodé. Cela fait des années que, tout en dirigeant une SSII spécialisée dans la conception et la réalisation de sites, il se bat pour imposer le
concept de la Toile. « Petit à petit, on y arrive », explique-t-il.
Séduits par la musique qui s’échappe de « la machine informatique », les hommes politiques commencent effectivement à apprendre ce qu’arobase veut
dire. Ils s’enthousiasment. Puis ils s’inquiètent : « Est-ce bien conforme à la religion musulmane ? » Il faut les rassurer, et surtout sensibiliser la
population. L’une de ses thèses favorites est qu’il faut s’inspirer du succès des télécentres, où les Sénégalais se retrouvent pour téléphoner, passer un
fax et sceller quelques affaires. « Installer l’Internet dans de tels endroits, s’enthousiasme Amadou, permettra à coup sûr sa propagation. » Tout ce qu’il
faut, c’est s’assurer le concours des « médiateurs », des Sénégalais qui savent lire et écrire et qui jouent le rôle d’interface entre les analphabètes et les
machines à communiquer dans ces télécentres. Il s’y emploie, et la formule commence à prendre. Le sous-développement soluble dans l’Internet ?
© Le Point - 26/01/2001 - N°1480, p.142- Le PointCom -