Amadou Top, Directeur excécutif du CONTAN : « Le Sénégal va réussir son passage au numérique aujourd’hui »
mercredi 17 juin 2015
A en croire le directeur exécutif du Comité national de pilotage
de l’analogique vers le numérique (Contan), Amadou Top, notre
pays, à la date du 17 juin (Ndlr : aujourd’hui), va basculer au numérique,
même si la couverture ne sera pas effective sur l’étendue
du territoire national. Il revient également, dans cet
entretien, sur les grandes étapes qui ont marqué le processus
de transition, les avantages attendus de la Tnt, le mode opérationnel
du basculement et le modèle économique pour la mise
en place de l’infrastructure de multiplexage.
Pouvez-vous nous faire l’état des
lieux des grandes étapes du projet
de passage de l’analogique
au numérique pour le Sénégal ?
Le processus de migration de la télévision analogique vers la télévision
numérique lancé le 30 décembre
2013 par le président de la République
Macky Sall, avec la création et
l’installation d’un Comité de pilotage
dénommé Contan, s’est déroulé avec
célérité durant les 18 derniers mois.
Le schéma de migration proposé par
ledit comité et validé par le chef de
l’Etat est quelque peu original par rapport
à ce qui a été mis en œuvre ailleurs
en Afrique et même dans le
monde. Il s’est agi pour le Sénégal de
rechercher un partenaire technique
disposé à financer l’intégralité de la
mise en œuvre de la Télévision terrestre
numérique (Tnt), depuis la pose et
la configuration des têtes de réseau
pour le multiplexage et la diffusion, la
disponibilité de décodeurs en nombre
suffisant et la mise en place de
plateformes pour une télévision numérique
interactive. Après la conception
du modèle défini par le Contan
et approuvé par le chef de l’Etat, un
appel à candidature a été lancé en mifévrier
2014 pour le choix d’une société
chargée de bâtir les
infrastructures de multiplexage, de
transport et de transmission en mode
numérique.
Le dépouillement des offres effectué
par une commission en mai 2014
a retenu le groupe sénégalais Excaf
qui a fait la meilleure offre financière
et technique, devant 18 autres soumissionnaires
qui étaient pour l’essentiel
de grandes firmes étrangères.
En Aout 2014, après les procédures
d’usage, l’administration publique a
pris les dispositions pour signer un
contrat de concession avec Excaf. Un
décret pris en septembre 2014 est
venu clore le processus de choix du
prestataire. Ce rappel des conditions
de mise en œuvre de la Tnt donne
une indication sur les délais très
courts dans lesquels nous avons inscrit
notre action, mais surtout sur le
courage dont les autorités ont fait
montre en faisant confiance à des
compétences nationales depuis la
conception jusqu’à la réalisation du
projet de passage à la télévision numérique.
Pouvez-vous nous en dire plus
sur l’originalité du modèle que
vous avez évoqué ?
Le Sénégal, comme les autres pays
de l’Afrique subsaharienne, s’est vu
octroyé par l’Uit quatre fréquences
sur lesquelles il pouvait émettre en
numérique. En analogique, ces quatre
fréquences auraient seulement permis
de diffuser quatre chaînes de télévision. En numérique, chaque
fréquence peut être utilisée pour
transporter jusqu’à 20 chaînes en
Simple définition (Ss) ou cinq chaînes
en Haute définition (Hd). Dès lors,
avec les quatre fréquences qui nous
sont attribuées pour l’instant pour la
Tnt, nous pouvons diffuser 80
chaînes en simple définition. Dans le
modèle que nous avons retenu, le
prestataire se voit attribuer par l’Etat
du Sénégal deux fréquences sur lesquelles
il peut émettre un bouquet
payant de 40 chaînes de télévision.
Les deux autres fréquences serviront
à diffuser en clair les chaînes nationales
publiques et privées, qui pour
le moment sont au nombre de 19.
Ainsi, sur une période précisée
dans le contrat, le prestataire (en l’occurrence
Excaf) préfinance la totalité
du projet et se fait rembourser par la
vente d’abonnements sur son bouquet
payant. Du coup, l’Etat ne dé-
bourse rien pour financer la Tnt,
même s’il consent à accorder des
exemptions douanières sur les maté-
riels importés. Par ailleurs, nous avons
décidé, dans le modèle choisi, d’exploiter
au mieux les possibilités de la
norme qui sera utilisée (Dvb-t2/
Mpeg4), afin de mettre à la disposition
des téléspectateurs sénégalais de
nombreux services tels que l’interactivité
(grâce à une plateforme Hbbtv,
avec retour via internet), le guide électronique
de programme (Epg) qui permet
de disposer sur une période de
plusieurs jours de la programmation
des chaînes, de l’archivage du
contenu des chaînes qui passent par
le multiplexeur et de leur accès distant
en mode recherche multicritère, de la
mesure d’audience, de l’enregistrement
sur le décodeur de programmes
de son choix avec la disponibilité de
multiples fonctions dont celles permettant
d’arrêter une émission et de
la reprendre, d’enregistrer une émission
pendant qu’on regarde une
autre, de revenir sur des séquences
d’une émission en cours, etc.
Enfin nous avons opportunément
décidé de n’utiliser qu’un seul multiplexeur
national qui collecterait les
programmes de toutes les chaînes
pour les acheminer sur un seul ré-
seau de transport national, avec possibilité
d’opérer dans chaque région
la diffusion de chaînes locales pouvant
ou non fonctionner en mode dé-
crochage. C’est important de mettre
l’accent sur ce dernier choix d’un seul
multiplex national, car des pays africains
qui ont tenté d’en autoriser plusieurs,
ont dû revenir en arrière au vu
des nombreux inconvénients de la
démarche.
Il se dit que le passage au numé-
rique va engendrer de nombreux
bouleversements pour les
téléspectateurs, qui, entre autres,
devront changer de téléviseurs
pour recevoir les
émissions de la Tnt. Qu’en est-il
exactement ?
Les détenteurs de téléviseurs n’auront
pas à les changer pour accéder
à la Tnt. Ils ont juste besoin de se procurer
un décodeur qui sera mis sur le
marché par Excaf et vendu au prix
symbolique de 10000 FCfa. Ce décodeur
embarque de nombreuses fonctionnalités
lui permettant d’exécuter
tous les services dont j’ai parlé plus
haut. Il est entièrement compatible
avec la norme retenue. Il suffira de le
brancher sur son téléviseur via l’un
des connecteurs (Hdmi, Peritel ou
Rca). Ensuite, il faudra procéder à la
recherche des programmes et à la
configuration de certains paramètres.
Pour chaque téléviseur, il faudra disposer
d’un décodeur dédié. Une antenne
« râteau » classique, dite Yagi,
orientée vers l’émetteur le plus
proche, permettra d’accéder à des
images et à un son de très grande
qualité, partout où le signal numé-
rique sera disponible, c’est-à-dire en
principe sur toute l’étendue du territoire.
Ceux qui le souhaitent, pourront
s’abonner au bouquet payant qu’Excaf
mettra à disposition, avec une variété
de programmes.
La date du 17 juin 2015 est arrivée.
Pensez-vous que notre pays
pourra respecter ce délai ?
Je suis en mesure de vous confirmer
que notre pays respectera ses
engagements de passer de l’analogique
au numérique à la date retenue
dans le cadre de l’accord GE06 (Genève
2006). Nous avons déjà installé
et mis en marche la tête de réseau nationale,
où sont collectées toutes les
chaînes devant être multiplexées.
Nous avons installé les têtes de ré-
seaux régionaux dans la plus part des
localités et l’achèvement complet de
la mise en place des infrastructures se
fera en fonction des réajustements
nécessaires que nous effectuons au
fur et à mesure. Dans de nombreux
cas, il est arrivé que les prévisions de
couverture spectrale qui avait été
faites nécessitent un redéploiement
des infrastructures d’émission, car la
portée des signaux dépasse celle
qu’en théorie nous avions considé-
rée. C’est ainsi que nous allons passer
de 29 émetteurs prévus dans la
planification initiale à 25 émetteurs ou
moins. Au final, nous avons couvert
aujourd’hui une zone abritant près de
70% de la population et dans moins
de 30 jours nous couvrirons la totalité
du territoire, comme prévu dans le
contrat de concession.
Comme dans tous les pays qui ont
procédé à cette vaste opération de
passage de l’analogique au numé-
rique, nous allons procéder à un basculement
progressif, avec une
période minimale de test des dispositifs
mis en service, avant d’effectuer
l’arrêt complet de la diffusion en analogique.
C’est la phase dite de « simulcast
» qui consiste à émettre en
analogique et en numérique et à donner
le temps aux populations de
s’équiper en décodeurs. Quand le signal
sera stabilisé partout dans le
pays et que la grande majorité des utilisateurs
seront équipés en décodeurs
numériques, alors la décision
d’arrêter le signal analogique zone
après zone sera prise par les autorités
compétentes. En ce sens, il n’y a aucune
inquiétude à se faire, le signal télévisuel sera disponible pendant
plusieurs mois encore, aussi bien en
analogique (et donc susceptible
d’être capté par des téléviseurs non
munis de décodeurs) qu’en numé-
rique (c’est-à-dire par des téléviseurs
dotés de décodeurs).
A votre connaissance, est-ce
qu’il y a des pays africains qui
ont pu réussir ce passage, lesquels
?
Quelques rares pays africains seront
en mesure de passer de l’analogique
au numérique à la date du 17
juin 2015. Parmi eux, l’Île Maurice, le
Rwanda, la Namibie, la Zambie, les
pays du Maghreb…. Le Sénégal fera
partie de la dizaine de pays africains
qui y parviendront. Il sera le seul pays
francophone ayant pour le moment
été annoncé comme en situation de
le faire. De très grands pays africains,
dotés de ressources plus importantes
que le Sénégal, ne sont pas parvenus
à respecter le délai. Soit pour des
choix non judicieux, soit pour d’autres
raisons. Vous mesurerez dès lors
l’effort qui a été consenti dans notre
pays, avec, il faut le rappeler, une expertise
nationale pour la conception
et la mise en œuvre du projet Tnt
(c’est du reste le seul pays africain à
l’avoir fait).
Que va-t-il advenir des pays qui
n’auront pas basculé à la date
du 17 juin 2015 ?
Pour l’heure, l’Union internationale
des Télécommunications (Uit) recommande
le dialogue entre les pays qui
ont basculé et ceux qui ne l’ont pas
encore fait, afin que ces derniers évitent
des interférences avec les émissions
des premiers. Pour le passage
au numérique, les pays africains qui
partagent les mêmes spectres de fré-
quence dans la bande Uhf assignée à
la Tnt, devaient négocier des plans de
fréquence qui permettent d’éviter les
interférences aux frontières. Ceux-ci,
après que leur adoption a été validée
par l’Uit et considérée comme définitive.
En continuant d’émettre en analogique
aux frontières sur des
fréquences assignées à un pays voisin
pour ses émissions en numérique,
on peut effectivement « brouiller » ses
émissions. Il est donc convenu qu’en
cas de non basculement d’un pays, le
pays voisin qui a basculé a la priorité
sur les fréquences adoptées dans le
plan de fréquence.
Qu’en est-il de la sensibilisation ? Quelles sont les initiatives prises
par le Contan pour préparer les
usagers sur l’avènement de la
Tnt ?
Il faut avouer que plongés dans le
quotidien de la mise œuvre et pris par
les délais très courts, nous avons
certes communiqué, mais pas assez.
Nous avons organisé des journées
d’étude et d’explication avec les éditeurs,
les techniciens de l’audiovisuel,
la Chambre de commerce de Dakar,
les associations de la société civile.
Nous avons fait des conférences dans
les universités et instituts (Ugb, Esp,
Ucad, etc.), animé des débats pour diverses
associations, participé à des
débats sur de nombreux plateaux de
télé et de radio, diffusé dans la presse
écrite des publi-reportage. Malgré
tout, compte tenu de la nouveauté du
sujet et des incertitudes que souvent
la rumeur entretient, il nous faut mettre
plus d’accent sur la communication
de masse dans les jours et
semaines à venir. Celle-ci sera d’autant
plus importante, que quand nous
aurons mis en œuvre les plateformes
de services prévues, les populations
auront besoin d’un appui conséquent
pour faire le saut du tout numérique
interactif. Le pari du passage ayant été
réussi, il devrait être possible de réussir
celui de la maîtrise de l’outil qui
sera mis à la disposition des populations
pour une nouvelle aventure dans
le monde du multimédia (unimedia serait
plus approprié au vu de la convergence
et du multi-écrans. Mais ça
c’est une autre affaire).
Est-ce que les Sénégalais vivant
à l’étranger pourront accéder
aux chaînes de la Tnt ?
Oui, nous avons prévu de proposer
aux éditeurs qui le souhaitent de les
mettre dans un bouquet « Sénégal TV
» qui sera disponible partout dans le
monde, avec un seul abonnement
payant qui générera des revenus importants
pour eux, et permettra en
partie de financer le développement
de la production audiovisuel nation.
Abdou Diaw et Ibrahima Ba
(Source : Le Soleil, 17 juin 2015)
Rwanda, Maroc, Ouganda... des exemples de réussite
D’après Adama Sow, directeur numérique
de Groupe futurs média
(Gfm), les pays africains qui ont
réussi le test du passage au numérique
sont l’Ouganda, le Cap-Vert, le
Rwanda, le Maroc. Il estime que 30
pays du continent dont l’Afrique du
Sud ont demandé un délai supplémentaire
car ils sont confrontés à un
retard dans la construction de leur
infrastructure et aux difficultés de
mobilisation du financement nécessaire.
Pour Ousseynou Dieng, des
pays comme le Ghana, le Nigéria
sont en train de réussir le passage de
l’analogique au numérique. « Au Sénégal,
nous avons participé avec des
pays de la sous-région de l’Uemoa,
de la Cedeao, et partout nous avons
les mêmes processus. Il y a eu des
dynamiques régionales, mais à l’arrivée
beaucoup de ces pays ont eu
des problèmes de financement », relève-
t-il.