Algorithmes et plateformes, vecteur d’une économie inclusive en Afrique (2/2)
lundi 5 octobre 2020
Afin de se saisir des opportunités qu’offre cette quatrième révolution industrielle, celle des nouvelles technologies, il est impératif de développer et animer de nouvelles plateformes numériques 4.0 qui allient algorithmes mais aussi réalité augmentée et bientôt intelligence artificielle.
Réalité augmentée, intelligence artificielle, drone vont travailler ensemble
Avec ces plateformes qui collectent les données des acteurs qui justement profitent de ces services il devient possible de proposer des services plus innovants : cartographie interactive (Banque mondiale) avec de l’open data qui offre donc la possibilité par exemple d’y ajouter de la réalité augmentée pour superposer un contexte local grâce à des applications sur smartphones. Un opérateur d’une ONG en Afrique peut superposer des calques et interagir avec les acteurs ou superposer les actions d’autres organisations.
L’intelligence artificielle qui permet d’analyser un contexte (avec des capacités surpuissantes) ou le déploiement d’un programme selon la probabilité d’échec ou issue de l’analyse des actions passée de prévoir un meilleur cadre logique d’intervention. L’usage des drones avec le couplage de la cartographie, de la réalité augmentée et des données permettant là aussi un travail de capitalisation inestimable sur des projets d’infrastructures comme dans le solaire, l’hydroélectrique ou l’environnement.
L’Internet des Objets
L’IoT, l’Internet des objets ou IdO en français, joue déjà un rôle majeur. Les usages sont inimaginables tellement ils sont vastes. Des millions d’entreprises et de consommateurs les utilisent sans le savoir.
L’entreprise Sigfox par exemple permet de tracer les rhinocéros et ainsi de les tenir éloignés des braconniers. Les animaux sont équipés de capteurs de 30 dollars insérés dans leurs cornes qui permettent de géo localiser en temps réel les animaux qui ne sont plus que 29 000 dans le monde. C’est un projet relativement simple techniquement, mais qui permet d’imaginer d’innombrables développements.
Les antennes Sigfox permettent d’émettre des ondes sur plus de 50 kilomètres sans SIM ou abonnements. Le seul défi est que les données soient assez légères pour être transmises sur des ondes basses fréquences, là est le savoir-faire de ce fleuron français de l’IoT.
Imaginons donc les objets connectés dans le développement : capteurs d’eau, de débit d’énergie, contrôles d’infrastructures, non seulement le business model mais aussi les économies que cela peut engendrer... Les pertes de courants ou « délestages » sont fréquents en Afrique. Ils peuvent représenter plus de 150 jours par an si on prend l’exemple de la partie Sud du Sénégal. Les pertes sur le continent représentent un marché de plus de 5 milliards de dollars par an selon la banque mondiale. Avec des objets connectés en contrôle des débits cela pourrait bientôt n’être plus qu’un vieux et pénible souvenir.
Le marché de l’IoT ou IdO offre clairement une superbe perspective de croissance pour les marchés africains.
Transformer les défis en opportunités
Des outils qui sont développés par des humains pour des humains, mais dans un but collectif, celui de mieux relever les défis que nous rencontrons et qui vont s’accroître de manière exponentielle dans les prochaines années. Spéculation ou guerre de l’eau, migrations, conflits, pénuries alimentaires. Avec les technologies et une coalition multi-pays nous pourrions faire de ces défis des opportunités économiques et sociales tout en préservant l’environnement et ainsi notre avenir.
Des communautés d’acteurs engagés, de nouveaux modèles économiques
Un des aspects vertueux et inestimable des plateformes 4.0 c’est la productivité des communautés qui se fédèrent et opèrent ensemble sur les thématiques, régions, ou plans économiques locaux. Ils se connectent, se regroupent, partagent, analysent et déploient de nouveaux savoir-faire adaptés aux marchés avec des actions innovantes. C’est un fait, les communautés des plateformes sont plus agiles, plus rapides, plus efficientes et plus proactives dans leurs démarches. Un des cas concrets dans ce sens est la plateforme portée par la BPI (Banque Publique d’Investissement) EuroQuity qui permet au startup d’accéder aux investisseurs en quelques clics.
EuroQuity met en relation les entrepreneurs de l’innovation et du numérique avec les acteurs du Capital Risque (VC) ou private equity. L’impact est énorme avec des dizaines de milliers d’acteurs qui convergent pour financer ou cofinancer des structures qui sans cette plateforme peineraient à se faire connaître ! L’effet démultiplicateur est énorme et les impacts sur les bénéficiaires colossaux sans même parler de l’accélération temporelle qu’offrent ces mises en relations.
Dans cet écosystème de réseau, de connexion et de mise en relation à différents niveaux les réseaux sociaux avec les nouveaux outils d’assistants virtuels vont jouer un rôle majeur. Facebook avec son redoutable WhatsApp, mais aussi Slack ou LinkedIn couplés de plus en plus à des outils de monnaie virtuelle eux aussi couplés à du commerce électronique ou du service comme le « pay as you go » révolutionnent et révolutionneront de plus en plus les 20 prochaines années. Particulièrement dans les pays en forte croissance, ces fameux pays du Sud.
L’énergie, de plus en plus durable, car renouvelable, devient accessible par le compte en banque de son téléphone. Cela nécessite en Afrique de redessiner les modèles économiques locaux avec l’ensemble des entreprises et états concernés. Ces cas d’usages vont aussi de fait redéfinir les pratiques des pays développés comme en Europe ou nous allons pouvoir consommer une énergie « à la demande » et non plus par abonnement.
Placer les citoyens au cœur des nouvelles technologies
Il faut bien sûr faire passer l’humain avant les technologies. Comme la société française Tactis qui, dans son projet de développement de ville durable pour Kigali développé en partenariat avec les autorités locales a mis en place un vaste programme de réflexion et de transition pour le réaménagement de la ville : infrastructures, transports, mobilité, services numériques... Ce vaste plan est basé sur une consultation citoyenne et non le fait d’imposer des choix politiques pensés par les élites.
L’analyse fine, aussi par les algorithmes, va permettre aux citoyens de manifester leur intérêt pour différentes solutions. C’est innovant, numérique et basé sur l’humain. Une démarche à labelliser.
Que nous le voulions ou non il faut intégrer les nouvelles technologies pour mieux maîtriser notre impact sur le monde et une des clés est et sera de développer des technologies accessibles pour tous dans un monde de plus en plus connecté. Le défi est d’autant plus complexe que ces technologies seront aussi évolutives qu’énergivores, ce pourquoi nous allons devoir inventer de nouveaux modèles.
Il reste à savoir si nous souhaitons faire ce pas de géant en accélérant notre travail de réflexion collective ou si nous allons, comme souvent par crainte de ce qui est nouveau, freiner les réformes qui nous permettraient d’intégrer le numérique avec l’humain au cœur de notre vision d’avenir. Avenir qui doit nécessairement être durable.
Thierry Barbaut [1]
(Source : La Tribune Afrique, 5 octobre 2020)
[1] Thierry Barbaut est expert en écosystème numérique entre l’Europe et l’Afrique