Afrique : vers un marché Internet unique ?
vendredi 19 août 2005
Si la fracture numérique est une réalité, c’est bien dans le fossé qui se creuse entre le Nord et le Sud. Comment hisser le continent africain à un niveau suffisant sur le plan des infrastructures pour que les technologies de la communication deviennent à la fois un moteur économique et un outil au service des populations ? C’est à cette question que les Etats d’Afrique noire francophone ont décidé de s’attaquer, d’une façon particulière : par le moyen du droit. « L’OHADA des télécoms (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du froit des affaires) » vient de recevoir un renfort de poids en la personne de Brigitte Girardin, Ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie annonçant officiellement le soutien de la France au projet.
Un marché en retard et très disparate
L’Afrique accuse une « fracture numérique » importante, en particulier concernant l’Internet. Une seule fibre optique draine le continent, le câble sous-marin SAT3/WASC/SAFE qui part de Lisbonne et court jusqu’en Malaisie, longeant la côte atlantique pour se jeter dans l’océan indien par l’Afrique du Sud. Conséquence : pas ou peu d’accès au haut débit car la bande passante est insuffisante. Et de fortes disparités : les pays côtiers disposent de plusieurs centaines de Mbits/s, contre quelques dizaines pour les pays enclavés desservis par des liaisons satellites et seulement 2 à 4 Mbits/s pour le Burundi ou le Tchad, soit l’équivalent de la bande passante de quelques abonnés à l’ADSL en France !
En corollaire, le prix.
Les pays éloignés des côtes utilisent les liaisons V-SAT coûteuses pour leurs connexions. Résultat : peu de cybercafés, de services d’hébergement de sites Web ou de boîtes e-mail. De façon générale, du fait de la faiblesse des infrastructures et du manque de concurrence dans un secteur fortement tenu par des opérateurs historiques, la bande passante est chère. Le Mbit/s se paye plusieurs milliers d’euros par mois dans la plupart des pays d’Afrique alors qu’il coûte à peine 10 euros pour un particulier abonné à l’ADSL en Europe et est presque gratuit aux Etats-Unis. Quand on sait qu’au-delà de 450 euros par mois pour un Mbit/s, l’Internet n’est plus considéré comme un outil du développement durable, on se rend compte que le chantier est vaste.
Vers une harmonisation réglementaire
La réglementation est l’un des moyens pour donner confiance aux investisseurs et aux industriels et, à terme, résoudre ces problèmes. On a vu, avec l’exemple européen, qu’elle est un facteur d’amélioration de la qualité tout comme l’ouverture des marchés a permis, via la concurrence, une baisse des prix et une accélération de l’innovation.
Lancé lors du Sommet de la Francophonie de Ouagadougou en novembre 2004, ce chantier à l’initiative de l’UNIDA (Association pour l’unification du droit en Afrique) et sous l’égide d’Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation de la francophonie, vise donc à harmoniser les réglementations nationales, dans un premier temps au sein de l’Afrique noire francophone. Dans l’esprit, le travail s’inspire de ce qui a été fait pour le droit des affaires OHADA, qui a standardisé les lois et règlements pour simplifier et sécuriser les échanges économiques dans la zone.
Concrètement, il s’agit en quelque sorte d’« inféoder » les structures actuelles de régulation et de mieux définir leur rôle. Les ministres des télécommunications seront le point central dans l’orientation et la mise en place d’une réglementation unique, ainsi que dans l’élaboration de son contenu. Les règles instituées seront directement applicables aux Etats membres. Un appel d’offre a été ouvert en vue d’une étude détaillée des dispositions existantes dans chaque pays concerné. Les résultats permettront d’appréhender les transformations juridiques nécessaires.
On espère réduire l’hétérogénéité des situations, sachant qu’en matière de télécoms les aspects juridiques et techniques sont souvent étroitement liés en raison de l’évolution et de la convergence des nouvelles technologies. Quelques exemples : le rôle des régulateurs dans la résolution des conflits entre opérateurs doit être harmonisé ; le statut des FAI, très disparate d’un pays à l’autre (il y en a plus de 40 au Mali, 15 au Sénégal et un seul en Centrafrique) nécessite d’être harmonisé et libéralisé ; la voix sur IP, interdite encore dans une majorité de pays (l’Afrique du Sud ne l’a autorisée qu’en février de cette année !), doit être largement ouverte...
Un chemin encore long malgré les soutiens
Théoriquement, un traité verra le jour pour le sommet de la francophonie en 2006. Mais le chemin risque d’être long. Le processus n’a pas véritablement commencé, même si les soutiens en Afrique et en Europe sont nombreux (ACP numérique (Afrique-Caraïbes-Pacifiques), CIAN (Comité français des investisseurs en Afrique)... et si des initiatives ont été lancées par des accords régionaux ou avec l’aide de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) et d’organismes internationaux tels que l’IUT et la Banque Mondiale.
« Une première étape consistera en un accord entre les ministres de certains pays africains francophones pour lancer le processus, insiste Jacques Blanché, expert (ex-Alcatel) désigné par le CIAN pour aider au lancement du projet. Il est indispensable que les acteurs africains participent dés le début à ce processus ! Cette démarche est nécessaire pour éviter que la fracture numérique actuelle ne devienne quasi-définitive » alerte l’expert.
Car les freins pourraient être nombreux : mutation complexe des réseaux (de la commutation par circuits vers la commutation par paquets), crainte des opérateurs historiques ne maîtrisant plus le marché, réticences à l’évolution, barrières aux nouveaux entrants... Le tout dans un contexte radicalement différent de celui maîtrisé en Europe : l’existence de nombreuses zones rurales le plus souvent très étendues change la notion même de « Service Universel », qui est in fine le but recherché.
Michel Fantin
Président de TechandCo, société de conseil aux entreprises pour les marchés émergents.
(Source : Le Journal du Net, 19 août 2005)