Afrique : le pouvoir est-il au bout des claviers ?
lundi 28 février 2011
Les évènements qui secouent les pays arabes en ce début d’année 2011, montrent, à des degrés divers, l’importance prise par les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les sociétés contemporaines, jusque et y compris dans les pays dans lesquels la fracture numérique est béante. Le phénomène n’est pas vraiment nouveau puisque depuis plus d’une quinzaine d’années, les TIC ont élargi le champ de la sphère publique et sont devenues un des facteurs des luttes politiques et sociales qu’elles soient pacifiques ou violentes. Dès le milieu des années 90, le mouvement zapatiste, dirigé par le sous-commandant Marcos, avait fait connaitre son combat au monde en combinant l’utilisation de liaisons satellites et d’Internet. Pour la première fois dans l’histoire, un mouvement de guérilla s’était servi systématiquement des TIC transformant du même coup le cyberespace en un nouveau champ de bataille pour les luttes populaires. Quelques années plus tard, si une première alternance démocratique fut possible au Sénégal après quarante ans de règne sans partage du parti au pouvoir depuis l’indépendance, c’est en grande partie parce que le choix des électeurs fut sécurisé par la diffusion instantanée, via le téléphone portable et les radios FM, des résultats proclamés par les commissions de dépouillement dans les bureaux de vote, empêchant ainsi les services des ministères de l’Intérieur et de la Justice de s’atteler à une leur activité favorite à savoir la cuisine des résultats électoraux en vue de leur donner le goût désiré par le Palais ... de la république ! De même en Chine, les contestataires utilisent intensément les TIC pour mobiliser et faire savoir ce qui se passe derrière la muraille de Chine à tel point que les autorités avaient amené Google à filtrer ses résultats pour en expurger les critiques contre le régime. En 2009, l’opposition iranienne a largement recouru aux téléphones portables et aux réseaux sociaux pour protester contre les fraudes à l’élection présidentielle et dénoncer la répression sanglante des manifestations. Pour mettre fin à la « Révolution Facebook », le régime de Téhéran avait d’ailleurs suspendu l’envoi de sms et pris des mesures pour interdire l’accès à Facebook, Twitter et Youtube ainsi que la réception des radios étrangères par satellite. En décembre 2010, lorsqu’a éclaté en Tunisie la « Révolution du jasmin », suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi mais aussi aux révélations de Wikileaks sur la corruption du régime Ben Ali, l’utilisation d’Internet pour combattre le pouvoir a joué un rôle de premier plan comme souligné par les médias. Le régime égyptien d’Hosni Moubarak, lui aussi gagné par la contestation, tentera d’en tirer les leçons en bloquant l’accès à Twitter puis à Facebook avant de couper purement et simplement tout accès à Internet avec pour dégât collatéral, la perte de 90 millions de dollars pour l’économie égyptienne. Dès lors, nombreux sont ceux qui se demandent si de pareils phénomènes pourraient se produire en Afrique subsaharienne au nom du principe qui veut que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Certes pauvreté, chômage, cherté du coût de la vie, gabegie, exclusion sociale, corruption, gestion patrimoniale, élections truquées, harcèlement des médias, autoritarisme, etc. sont monnaie courante dans la plupart des pays africains et constituent autant de facteurs pouvant susciter des soulèvements populaires. Néanmoins, avec les forts taux d’analphabétisme et les faibles taux de pénétration d’Internet qui y prévalent, il est peu probable que les réseaux sociaux puissent jouer le rôle de catalyseur du mécontentement populaire. Par contre, le recours à la téléphonie mobile, dont les taux de pénétration dépasse les 50% dans nombre de pays, comme outil de mobilisation pourrait s’avérer crucial comme l’a déjà montré l’utilisation qui en a été faite par les marchands ambulants de Dakar en novembre 2007 ou par les Mozambicains dénonçant la hausse des prix de l’électricité, de l’eau, des transports et du pain en septembre 2010. Les damnés de la terre s’étant eux aussi appropriés les TIC, il ne faudrait donc pas être surpris de les voir s’en servir dans les luttes qu’ils mènent pour se libérer de l’oppression politique, économique, culturelle et sociale qui en font des citoyens de seconde zone dans leurs propres pays. Cependant, il ne faut pas oublier que les TIC, aussi puissantes soient elles, ne sont qu’un outil et que l’élément déterminant de tout processus de changement de société reste la mobilisation du mouvement politique et social sur le terrain des luttes quotidiennes et non derrière les claviers.
Olivier Sagna
Secrétaire général d’OSIRIS