C’est un paradoxe que l’Afrique va devoir résoudre. Comment concilier son appétence pour les TIC, la téléphonie mobile, les transactions d’argent mobile, avec sa difficulté à mettre en place un écosystème de nature à libérer son potentiel numérique ? C’est précisément la vocation de l’Alliance Smart Africa.
On ne cesse de le répéter : depuis une dizaine d’années, l’économie numérique connaît une croissance sans précédent en Afrique, portée par la pénétration de la téléphonie mobile et la dynamique du commerce en ligne, elle-même favorisée par le boom démographique et la pénétration de l’Internet mobile haut débit. Les chiffres sont éloquents : selon l’agence de conseil McKinsey & Company, en Afrique, les revenus annuels issus du e-commerce pourraient atteindre 75 milliards de dollars en 2025, soit près de dix fois plus qu’en 2014.
L’effervescence en matière de création de start-up constitue un autre indicateur de cette révolution en cours. L’essor de la téléphonie mobile sur le continent leur a permis de développer des applications axées sur des services révolutionnant la vie des Africains. Certains pays se sont ainsi positionnés comme de véritables pôles de start-up, à l’image de la Tunisie, du Rwanda et de la Côte d’Ivoire, quand d’autres se sont faits une spécialité de centres d’appels (Maroc, Tunisie, Madagascar, Ile Maurice) ou des centres de recherche et d’innovation (Nigeria, Kenya, Afrique du Sud, Ghana).
Nécessité d’efforts concertés
Mais cette effervescence ne doit pas masquer des situations très disparates, le taux de pénétration d’Internet oscillant entre 20 % et plus de 60 % selon les pays. Le continent pâtit par ailleurs durablement d’une faible connectivité au haut débit mobile (moins de 30 % des Africains y ont accès, contre 79 % des Américains), de l’absence de législations appropriées, des coûts excessifs de la data et du manque d’infrastructures adaptées pour libérer ce potentiel.
Pour y remédier, certains pays ont lancé des plans gouvernementaux (Sénégal numérique 2020, Tunisie 2020, Cameroun numérique 2020, etc.) visant à se doter d’un réseau Internet performant, voire de fibre optique. Si ces initiatives sont louables, rien ne pourra véritablement évoluer en l’absence de synergies à l’échelle panafricaine. C’est la raison d’être de l’Alliance Smart Africa, qui rassemble 24 pays membres et représente un marché de plus de 600 millions de personnes. En plaçant la transformation numérique au cœur du développement économique de l’Afrique, elle ambitionne d’accélérer le désenclavement numérique du continent en rassemblant États membres et secteur privé autour d’initiatives concrètes, avec un credo : faire des nouvelles technologies le fer de lance du développement africain.
Trois priorités d’action
Parmi ses trois grandes priorités figurent le renforcement des infrastructures Internet en Afrique (fibre optique, câbles sous-marin, satellites, déploiement des réseaux mobiles, création de « data centers » pour réduire les coûts facturés aux consommateurs) et le développement de contenus africains exportables dans les domaines de la e-santé, de la e-éducation, de la e-agriculture et du e-commerce pour répondre aux problèmes de l’Afrique. La formation des Africains aux nouvelles technologies constitue le troisième axe prioritaire de l’Alliance afin de créer les millions d’emplois manquants. C’est tout l’objet du Fonds de bourses d’études de Smart Africa, qui permettra aux étudiants africains de bénéficier de bourses pour pouvoir suivre une formation en master ou obtenir une autre certification dans les meilleurs centres TIC du continent. Le fonds d’aide aux start-up africaines répond à la même logique. Désormais ouvert aux investisseurs internationaux, il ambitionne de lever 500 millions de dollars.
Mais toutes ces avancées seraient vaines sans la levée des barrières réglementaires qui freinent la mise en place du marché unique, dont la perspective a été concrétisée par la création de la zone de libre-échange continentale, ratifiée le 21 mars 2018. C’est pourquoi Smart Africa a créé en mai 2017 le Conseil africain des régulateurs (CAR), qui œuvre à l’harmonisation réglementaire de l’itinérance et des communications internationales au sein de l’espace Smart Africa ainsi qu’à la réduction des coûts et des tarifs de communication.
Les débuts du Réseau africain unique
Cette dynamique est intrinsèquement liée au projet phare de l’Alliance, le Réseau africain unique (RAU), qui devrait être effectif en 2020. En effet, le 31 janvier 2016, en marge du Sommet des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union Africaine, le troisième conseil d’administration de Smart Africa a confié aux ministres et aux autorités nationales la mission d’étendre cette initiative à tous les pays membres de l’Alliance. En s’appuyant sur l’expérience réussie du corridor Nord (Kenya, Soudan du Sud, Rwanda et Tanzanie), cette initiative s’est d’abord traduite par la mise en place d’une expérience pilote entre le Gabon et le Rwanda pour le service voix. Cette dernière a permis de réduire les coûts des appels internationaux et de « roaming » et de supprimer les taxes s’y rapportant, ce qui a eu pour effet de stimuler le trafic téléphonique entre les deux pays.
Au vu du succès de ces expériences et sous l’impulsion de Smart Africa, le Burkina Faso, le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Sénégal et le Togo ont adopté une mesure similaire, qui a permis de mettre fin aux surtaxes et de faciliter le « roaming » entre leurs pays depuis le 31 mars 2017. C’est un premier pas significatif qui devrait être progressivement étendu à tout le continent.
Lacina Koné, Directeur général du Secrétariat de Smart Africa
(Source : La Tribune Afrique, 2 avril 2019)