Afrique du Nord : les câbles sous-marins comme enjeu économique et stratégique
mercredi 1er avril 2020
Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie font partie des pays les plus connectés du continent africain. Pour les trois Etats d’Afrique du Nord, les câbles sous-marins constituent une source de développement économique. Mais ils ont aussi vocation à assurer leur autonomie et la sécurité dans la circulation de l’information. Décryptage.
On est souvent tenté de croire que les informations que nous échangeons circulent dans un monde virtuel où rien n’est physique. Pourtant, les télécommunications, notamment le Web, sont régies par des infrastructures comme les câbles sous-marins. Ils sont indispensables et sont au cœur de la stratégie de développement des pays du Maghreb. Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ont en effet pour ambition de devenir un hub régional.
Fibre optique
Pour expliquer le fonctionnement des câbles sous-marins, il faut forcément commencer par la fibre optique. C’est un long fil de verre, aussi fin qu’un cheveu, qui transporte la lumière et permet d’échanger des données d’un bout à l’autre de la planète. Le câble de fibre optique, qui est installé au fond des mers et océans, est recouvert de couches de plastique et d’acier. Il peut se trouver à 8 000 mètres de profondeur. À sa sortie, une station d’atterrissement réceptionne le signal lumineux. Il est électrique lorsqu’il est par exemple émis par un ordinateur. Mais il devient lumineux grâce à la fibre et se reconvertit en électrique à la sortie du câble.
Connectivité au Maghreb
Le site américain Sub Marine Cable Map affirme que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont reliés à « l’autoroute des télécommunications » par treize câbles. ORVAL, le dernier à avoir été inauguré en décembre, relie l’Algérie à l’Espagne. Ces câbles assurent aux trois pays du Maghreb un niveau de connectivité supérieur au reste du continent africain. L’activité du secteur numérique se développe donc plus rapidement qu’ailleurs. Selon la Banque mondiale, le Maroc occupe la première place des pays les plus connectés d’Afrique, avec 62% d’internautes. Constantin Tsakas, économiste et Secrétaire général du think-tank euroméditerranéen FEMISE, explique qu’une meilleure connectivité offre des perspectives de croissance rapide, inclusive et durable. « Cela permet en quelque sorte de sauter des étapes dans le développement. »
De l’aveu de Philippe Wang, vice-Président exécutif de la région Afrique du Nord de Huawei, le géant chinois a choisi le Maroc pour développer la haute technologie sur le continent africain. Un choix qui a été motivé par la qualité des infrastructures du Royaume. « Le pays pourrait ainsi expérimenter le réseau 5G », selon Philippe Wang.
L’Agence américaine du commerce et du développement (USTDA), qui a effectué une visite de travail fin janvier 2020, est pour sa part intéressée par l’Algérie. Elle a pointé les télécommunications comme secteur d’avenir. La Tunisie, très en avance sur son voisin de l’ouest, dispose d’un marché des TIC déjà très solide. Il représente 7,2 % du PIB, soit autant que le tourisme. Son taux de croissance est de 7,5 % et il génère 100 000 emplois. Quelque 7 500 postes sont créés par an et 1 200 entreprises sont implantées. L’apport des télécommunications, et notamment des câbles, est non seulement économique mais il favorise également le développement social. « Cela réduit par exemple les inégalités en matière d’accès à la santé ou à l’administration », relève Constantin Tsakas.
Enjeu stratégique
Le câble international South East Asia-Middle East-Western Europe-4 (Sea-Me-We-4) a longtemps été le seul à assurer 80% de la couverture du réseau algérien. Et les pannes survenues en 2003, 2015 et 2017 ont isolé le pays, le coupant du reste du monde, le temps des réparations. Une situation qui a décidé le gouvernement à lancer un vaste plan de sécurisation des infrastructures : le projet ORSEC des Télécommunications. A présent, l’Algérie est reliée à cinq câbles différents. « Vous ne pouvez pas être tributaire d’une seule infrastructure, cela vous rend vulnérable », analyse François Bernard Huyghe, Chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et responsable de l’Observatoire géostratégique de l’information.
L’autre élément à prendre en compte est la sécurité des pays. Pour François-Bernard Huyghe, « si vous possédez la technologie, vous contrôlez le câble. Et vous pouvez le couper ou prélever de l’information ». Le chercheur rappelle que les révélations d’Edward Snowden ont permis de constater que les États-Unis prélevaient une grande quantité d’informations sur les câbles qu’ils contrôlent. Pour l’heure, aucun des pays du Maghreb ne maîtrise réellement cette technologie. Seuls quatre fournisseurs de câbles sous-marins existent : TE SubCom, de l’opérateur américain historique AT&T ; ASN (Alcatel Submarine Networks) ; Nec Submarine System au Japon et Huawei Marine.
Coopérer pour se développer
Une des solutions pour les pays d’Afrique du Nord consiste à mutualiser les efforts. D’abord pour des questions de coûts. Un câble de moins de 200 kilomètres, comme celui reliant Kelibia en Tunisie et Mazara del Vallo en Italie, coûte environ 60 millions d’euros. La facture est plus élevée lorsqu’il s’agit d’un câble de plusieurs centaines de kilomètres. Elle peut atteindre jusqu’à 700 millions d’euros, pour une durée de vie estimée à 25 ans. Mais, un développement commun suppose un cadre commun. Constantin Tsakas suggère que les trois pays du Maghreb légifèrent pour travailler main dans la main. Le chercheur va même plus loin. « Il faut visualiser la coopération à l’échelle du continent ». Il propose de développer les partenariats publics privés, d’investir et de former la population. Dans ce domaine, la Tunisie a pris de l’avance. Elle forme chaque année 10 000 ingénieurs dans le secteur. Soit proportionnellement à sa population, autant que la France.
L’autre réflexion qu’il faudra mener concerne la lourdeur administrative dans certains pays. Elle peut décourager les potentiels investisseurs. Ces défis devront être relevés par les pays du Maghreb pour devenir des hubs régionaux.
Sami Bouzid
(Source : CIO Mag, 1er avril 2020)