Afrique : Pourquoi Internet est-il si cher ? (3ème partie)
mercredi 16 juillet 2008
Si la connexion Internet dans la majorité des pays d’Afrique est une des plus chères du monde (voir article : Une des connexions les plus chères du monde), c’est en grande partie à cause des tarifs faramineux pratiqués sur les passerelles internationales du réseau (voir articles Pourquoi Internet est-il si cher en Afrique, 1ère et 2ème partie).
Internet ne se fait pas (ou peu) en Afrique, beaucoup de sites africains sont hébergés en Europe ou aux Etats-Unis parce que c’est plus économique (l’Afrique héberge à peine le 100 000e du total mondial des pages Web selon Le Journal du Net) et même le trafic local passe la plupart du temps par l’étranger faute de Points d’Echange Internet, autrement dit de carrefours d’échange locaux. Mais alors pourquoi un Français ou un Espagnol qui veut consulter des pages hébergées ailleurs qu’en Europe ne subit-il pas lui aussi les mêmes inconvénients ? Pourquoi paie-t-il moins cher l’accès aux « dorsales » du réseau des réseaux, ces lignes à très haut débit qui constituent le cœur du système ? Parce que les grands opérateurs qui contrôlent ces autoroutes sont très peu nombreux et qu’ils ont conclu entre eux des accords, c’est ce que nous explique la présidente d’Africa NTI et directrice de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique Annie Chéneau-Loquay
« L’Internet est cher parce que le plus grand nombre de ses consommateurs actuels déterminent le prix » avait prévenu Bashonga, membre de l’Atelier des Médias résidant au Canada. Mais le Nord est-il seul responsable des difficultés rencontrées par les internautes africains comme il le dénonce par ailleurs avec véhémence ? Ce serait trop simple.
Des règles du jeu encore trop compliquées
Luc, du Burundi nous avait déjà écrit « qu’il fallait compter 100 USD par mois » pour se connecter à Internet depuis Bujumbura. « De plus, précise-t-il, ici au Burundi, l’Agence de régulation des télécommunications demande tellement d’argent aux FAI (aux Fournisseurs d’Accès Internet ndlr) que l’on peut se demander si le pays souhaite réellement réduire la fracture numérique ». De Lomé, Fabrice dénonce, lui aussi, les règles qui s’appliquent aux opérateurs qui voudraient diversifier l’offre d’accès à Internet : « Dans le cas du Togo, le cadre réglementaire ne se prête même pas au développement des infrastructures. La licence pour avoir une VSAT (antenne de réception satellitaire de très petite taille ndlr) est à 5.000 000 mais rassurez vous, quelque soit vos justificatifs vous ne l’aurez jamais. Ici il y a même une réglementation sur l’utilisation des fréquences 2,4 GHz (utilisées par les réseaux sans fil de proximité WIFI ndlr). Bref, la lutte contre la fracture numérique doit à mon sens passer par une volonté politique ». Ce problème de régulation des marchés des télécoms en Afrique, l’Union Internationale des Télécommunications en a fait un chapitre spécifique dans son rapport 2007. On y apprend que plus des trois quarts des pays africains ont bien mis en place une autorité de régulation des télécommunications mais qu’un quart d’entre elles ne sont pas autonomes, c’est à dire indépendantes du pouvoir. Et quand on lit, toujours dans le rapport de l’UIT, que la plupart de ces instances chargées de clarifier les règles du marché sont financées par la vente des licences octroyées aux opérateurs privés, on comprend mieux les tarifs pratiqués... Ces règles du jeu, très obscures, favorisent, dans certains pays, un monopole de fait. Ailleurs, le marché des télécommunications est parfois segmenté de telle manière qu’il faut une nouvelle licence à chaque nouvelle activité (internet, téléphonie mobile, offre satellitaire, téléphonie par internet) sans que l’opérateur ne soit tout à fait sûr de l’agrément à obtenir pour être en règle. Bref, cela ne favorise pas la concurrence et décourage même parfois carrément les entrepreneurs privés, ce dont témoigne Philippe Tintignac, directeur d’une petite entreprise dédiée à l’offre satellitaire Afrique Telecom.
Des gouvernants trop âgés
Les gouvernements africains empêcheraient-ils à dessein l’accès à Internet par crainte d’accorder une trop grande liberté d’expression à leurs concitoyens ? A lire Frédéric, de Thiès, au Sénégal, on mesure en tous cas un certain degré d’insatisfaction quand il écrit qu’en Afrique « tout est cher, car les gouvernants africains ne sont que des corrompus, car gérant mal les ressources de leur pays qu’ils croient leur appartenir ; tout ceci après le passage des colons qui ont presque tout dévasté. C’est la première raison de la cherté ». Sic.
Plus sobrement, Alain Clerc, secrétaire éxécutif du Fonds Mondial de Solidarité Numérique, évoque un problème de génération. « Les chefs de gouvernements, particulièrement en Afrique de l’Ouest, ne sont pas de la génération Internet, explique-t-il, ceux que l’on appelle les « digital native » (les trentenaires des pays riches pour lesquels le maniement du clavier est comme « inné » ndlr). Ils ne comprennent pas tous les avantages que leur pays peut retirer des nouvelles technologies. Ce n’est pas une évidence pour eux ».
Transformer les paroles en actes
Pourtant, de Kigali, Jean-Louis rappelle que sur une autre question épineuse, celle des taxes sur le matériel informatique, « le leadership a amorcé un mouvement pour la vulgarisation des nouvelles technologies, celles-ci sont exemptes de taxes à l’entrée sur le territoire national ». Des taxes qui s’échelonnent de 5 à 23% selon les pays et devraient disparaître progressivement aussi dans les 15 pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de L’ouest ,la CEDEAO, si l’on en croit l’UIT qui cite un accord signé à Abuja en 2006. Cette semaine encore, Gratien, de Kinshasa, nous faisait également part de la tenue d’un « atelier de préparation à l’élaboration de la stratégie TIC du gouvernement congolais entre les pouvoirs publics et les opérateurs du secteur, destiné à permettre à la République démocratique du Congo, qui accuse un certain retard dans la réglementation du secteur des nouvelles technologies, (...) de se rattraper ».
Passionnés d’Internet et un peu fatigués des déclarations de bonnes intentions réitérées à longueur de colloques et autres ateliers, d’autres membres de l’Atelier des Médias s’impatientent : « Ici à Dakar, ce qui me frappe avant tout, déplore Sam depuis la capitale sénégalaise, c’est que les deux importantes catégories de médiateurs que sont les médias et les ONG évoquent en long en large et en travers les TIC ( Technologies de l’Information et de la Communication ndlr) sans jamais aller au-delà de l’énonciation de ce sigle sans âme. On parle de “TIC et pauvreté”, “TIC et éducation”, “TIC et santé”... et on ressasse à longueur d’articles et de colloques que les TIC, c’est capital pour le développement. Mais pour quelqu’un qui n’a pas d’ordinateur ni d’accès au web, TIC ça signifie quoi ? Rien. C’est une pure abstraction pour initiés » Ce à quoi Gratien, de Kinshasa, répond que « tant que les applications ne sont pas encore disponibles dans la vie de tous les jours au pays, nous ne pouvons pas les inventer. Pouvons-nous demander aux gens de remplir en ligne des formulaires qui n’existent pas encore ? Ou de faire des achats sur internet (ou créer un blog) alors qu’ils ne comprennent pas encore exactement comme cela fonctionne ? (...) Les pouvoirs publics doivent s’engager un peu plus activement dans l’utilisation pratique des TIC. Je crois que si l’Etat s’y met cela va booster les autres secteurs ». Finalement, parmi les premiers enseignements de cette série d’articles réalisés avec votre participation, l’un des plus marquants est la motivation et les efforts auxquels beaucoup sont prêts, selon leurs revenus, pour se connecter à la toile. Comme Léon de Brazzaville qui raconte que « le plaisir que nous procure la toile (à lui et à sa famille) m’a fait oublier le coût. (50 000 francs CFA pour un abonnement de 90 heures). Pour ma part, la toile m’aide beaucoup pour mes recherches, je suis universitaire. Je suis en contact avec d’autres chercheurs, (...) je parviens à suivre les appels à communication et ainsi participer à des colloques, collaborer à des revues et bien d’autres choses liées à la recherche, je parviens à solliciter des financements pour mes recherches. Mes deux enfants qui sont étudiants sont très intéressés et s’occupent utilement si j’en juge par leur engouement. Quand je me déplace, je communique de manière tout à fait sérieuse avec ma femme et mes enfants et ne me sens pas isolé où que je sois. La liste des avantages est si longue. Pour moi, l’Internet est un outil irremplaçable aujourd’hui. »
Prochain et dernier épisode de notre série : l’avenir de l’Internet en Afrique passe-t-il pas les connexions sans fil et sont-elles susceptibles de faire baisser le prix de l’accès au web ? Avec la participation des membres de l’Atelier des Médias.
Anne-Laure Marie
(Source : RFI, 16 juillet 2008)