Affaire des 20 milliards de commission de SUDATEL : Monsieur Sy, les faits sont têtus !
lundi 21 juin 2010
En réaction à notre article, Thierno Ousmane Sy a fait une sortie sur la télévision Walfadjri pour clamer son innocence. Au cours de l’émission, il a soutenu l’idée selon laquelle notre enquête sur l’octroi de la troisième licence est une stratégie sciemment entretenue pour atteindre sa personne. Dans la même veine, il a fait une corrélation entre nos informations et celles qui sont livrées par d’autres journalistes. La Gazette revient sur les différentes péripéties pour démontrer le bien fondé de son enquête bâtie sur une interrogation légitime : Comment sont gérés les deniers publics ?
Invité à l’émission « Opinion » sur la télévision Walfadjri, Thierno Ousmane Sy a tenté d’expliquer son degré d’implication dans les transactions des commissions versées par Sudatel à des intermédiaires. Il explique que l’argent versé par Sudatel à des sociétés tiers est un « émolument payé pour service rendu ». Mais Monsieur Sy oublie de parler de la nature des services, donc de la légalité des paiements faits, surtout quand de tels versements concernent des autorités qui ont travaillé dans le dossier et agi pour le compte de l’Etat du Sénégal. Dans sa ligne de défense, il a récusé toutes les informations livrées par le journal la Gazette. Ce faisant, il a fait un certain nombre d’insinuations tendant à accréditer l’idée selon laquelle une campagne de presse et de dénigrement contre lui, dont la Gazette fait largement l’écho, est menée depuis quelques temps. « Cette accusation est le résultat d’une réflexion à haute voix menée par le journal la Gazette pour porter atteinte à mon honorabilité », soutient-il. Son argumentaire retrace une sorte de logique entre les informations publiées par la Gazette sur cette affaire et les accusations de Souleymane Jules Diop qui lui ont valu une condamnation au Canada, puis de celles du journaliste Américain, Lawrence Delevingne. L’argumentaire utilisé par Thierno Ousmane Sy est foncièrement maladroit car il tente de noyer le poisson. La Gazette ne sera jamais un acteur d’une campagne de presse contre qui que ce soit. Rappelons les faits pour que nul n’en ignore.
Notre enquête sur l’attribution de la troisième licence à Sudatel est partie de la valse des chiffres entretenue par les autorités en charge de l’affaire. Dans une conférence de presse tenue dans les locaux de l’Agence de régulation de télécommunications et des postes, le vendredi 07 septembre 2007, pour annoncer le choix de Sudatel, le directeur de l’agence de l’époque, Daniel Goumbalo Seck disait que : « la troisième licence de téléphonie est attribuée à la compagnie Soudanaise Sudatel pour un montant de 200 millions de dollars, soit une valeur 100 milliards de F Cfa ». Au cours de ce face-à-face avec les journalistes, M. Seck faisait une comparaison teintée d’ironie avec la deuxième licence accordée à Tigo en 1998 pour un montant 50 millions de F Cfa. « Cette présente transaction est une multiplication par 2000 du prix de la deuxième licence ». Mais, une semaine après, au conseil des ministres du 13 septembre, le chef de l’Etat, après avoir félicité ses conseillers Karim Wade et Thierno Ousmane Sy pour la réussite de cette opération a annoncé un chiffre de 80 milliards. La différence selon la version officielle vient de la fluctuation du dollar. La valeur réelle de la licence avait alors intrigué toute la presse et tous les citoyens. C’est ainsi que le journal le populaire dans sa livraison du 24 septembre 2007 a interrogé l’économiste Moubarack Lô pour recueillir une explication à cette importante fluctuation. Ce dernier soutenait que : « pour éviter ces fluctuations qui peuvent engendrer des pertes énormes, l’Etat devrait recevoir les offres des soumissionnaires en FCFA à la place du dollar.
Au pire des cas, il aurait pu les recevoir en euro puisque la parité est fixe ». A ces interrogations s’ajoute celle de l’inspection générale d’Etat (IGE). Dans son rapport sur « les primes exceptionnelles » à l’Artp, les inspecteurs avaient trouvé que les membres du conseil ont calculé le dollar à 400 F CFA, ce qui donne une somme de 80 milliards. Au regard de l’appréciation hasardeuse du dollar les inspecteurs ont formulé l’observation suivante : « il y a lieu de souligner que certains paramètres, notamment le montant en dollar, le cours du dollar, la liste des bénéficiaires et les critères utilisés par le Conseil de Régulation pour procéder à la répartition du milliard six cent millions de FCFA (prime exceptionnelle) n’étaient pas maîtrisés, au moment du partage ». Une observation qui en dit long sur les doutes des inspecteurs face aux explications de l’Artp.
L’IGE PERPLEXE
Lorsque nous avons été en possession du rapport de l’IGE nous avons décidé de pousser la recherche pour en savoir plus. C’est ainsi que nous avions écrit dans notre numéro 51, qu’à « la date du 07 septembre 2007, au moment de la transaction entre l’Etat du Sénégal et Sudatel s’opérait, le cours du dollar était de 481,18. Du coup, la conversion des 200 millions de dollars représentant le prix de cession d’une licence à Sudatel, devrait donner 96 milliards de francs Cfa, au lieu de 80, comme annoncé par les autorités ».
A la suite de cet article, le Ministère de l’Economie et des finances a sorti un communiqué dans le journal pour expliquer les différents versements effectués par Sudatel pour le compte de l’Etat du Sénégal. Sur ce point, Ousmane Sy dit que « la Gazette a soulevé un gap de 20 milliards, pour ensuite l’abandonner à la suite de la mise au point du Ministère des finances à laquelle elle n’a fait aucun commentaire ». Or, à la suite de la publication du communiqué, La Gazette a bel et bien fait un commentaire dans le numéro 52 daté du 1er avril au 8 avril 2010, intitulé « 89 milliards, tiens du nouveau ! ». Dans ce texte, le journal marquait son étonnement devant la valse des chiffres sur la contrepartie financière de la vente de la licence de téléphonie à Sudatel. Le président de la République, le ministère des finances, et Thierno Ousmane Sy, tous les trois des voix autorisées ont avancé des chiffres différents avec des écarts assez grands (Thierno Ousmane Sy et l’inspection générale d’Etat ont donné les mêmes chiffres). Ainsi nous écrivions dans notre texte que « Le communiqué signé par le directeur du trésor renseigne que deux virements ont été effectués pour encaisser l’enveloppe financière. Un premier à la date du 19 novembre correspondant à la somme de 44 775 228 727 CFA et un second virement de 44 306 437 814. Soit un total de 89 081 666 541. Pour avoir cette somme, un taux de 445, 508 23 27 a été appliqué aux 200 millions de dollars. Or ce montant qui vient d’être avancé par le ministère contredit le président de la République qui avait annoncé 100 milliards et son conseiller en Tic Thierno O. Sy qui a parlé de 80 milliards. Ce qui donne un écart assez substantiel sur lequel le communiqué reste muet. »
LES DOCUMENTS COMPROMETTANTS
Par la suite, une énième enquête de La Gazette (no56), révélera que dans le cadre de la vente de la troisième licence globale, des étrangers en association avec des nationaux très haut placés dans les structures de l’Etat se sont partagé la rondelette somme de 40 millions de dollars (20 milliards Cfa). Notre journal annonçait par ailleurs détenir plusieurs documents bancaires et des actes de poursuites déposées contre Sudatel, devant les autorités judicaires de l’Etat de Dubaï. Des actes et documents que nous avons publié en fac simile et qui, par ailleurs, établissent de façon formelle le paiement de commissions. Aussi, La Gazette a-t-elle suivi les traces des virements effectués au nom de la compagnie off shore Red Sea Holding, jusque dans des banques européennes et asiatiques.
Ce n’est que dans notre livraison du 28 mai au 3 juin no 50 que nous avons publié, document à l’appui, les noms de deux Sénégalais, Thierno Ousmane Sy et Kéba Keinde sur la trace de l’argent. Kéba Keinde, le Directeur de Red Sea Holding (la compagnie offshore basée à Dubaï par laquelle les 20 milliards de commissions ont transité) et Thierno Ousmane Sy, le conseiller en technologie de l’information et de la communication du président de la République figurent en bonne place dans les échanges de correspondances entre le cabinet d’expert et le Groupe Sudatel concernant le paiement des commissions. Dans un message adressé au directeur du groupe Sudatel Emad Ahmed, Kéba Keindé demande à ce dernier de payer la facture de 10 millions de dollars », avait-on écrit.
Thierno Ousmane y peut spéculer, en tentant par une sorte d’érudition empruntée et suspecte de sauver les meubles, alors que les faits que nous avons publiés depuis la conduite de nos enquêtes, mettent à nu certaines autorités de ce pays qui ont pris part aux transactions des commissions versées dans l’attribution de la troisième licence de téléphonie.
Baye Makébé Sarr
(Source : La Gazette, 21 juin 2010)