Affaire Millicom/Gouvernement du Sénégal : La banque Rothschild et le cabinet juridique Clifford Chance épinglé par l’Armp
mardi 9 février 2010
C’est le journaliste américain Lawrence Delevingne qui a levé le lièvre dans le journal « Businessinsider ». L’intérêt que l’Administration Obama porte sur la démocratie sénégalaise, sur la gestion des ressources publiques et sur le processus électoral dans notre pays n’est plus ’un secret de Polichinelle. Le dossier qui lie l’Etat du Sénégal à la société Millicom Sentel est d’une importance capitale dans le milieu américain des affaires. Hier, lundi 08 février, le Gouvernement du Sénégal rendu public un communiqué pour apporter sa version des faits. Un communiqué qui a accusé 72 heures de retard. Le Gouvernement est tombé dans son propre piège. Car la Banque d’affaires Rothschild et le Cabinet juridique Clifford Chance, cités dans le communiqué du Gouvernement sénégalais, sont justement épinglés dans le dernier rapport d’audit 2008 de l’Armp...
Ce qu’il faut d’abord relever, c’est que seuls le président de la République, son fils Karim Wade, Thierno Ousmane Sy, le fils de l’ancien ministre de l’Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, par ailleurs Conseiller du président, Pr Serigne Diop, ministre de l’Information en 1998, au moment de la signature du contrat, Malick Guèye et Daniel Seck, tous deux directeurs généraux de l’Artp et peut-être l’ensemble des ministres de l’Information du Gouvernement connaissent, à des degrés différents, les tenants et les aboutissants de ce dossier complexe. Mieux, on peut avancer avec certitude que Karim Wade et Pape Ousmane Sy sont seuls au cœur du deal.
Tout est parti du contrat passé entre l’Etat du Sénégal et la société Sentel GSM, en 1998. A ce moment-là, c’est l’actuel Médiateur de la République, le Pr Serigne Diop, qui était ministre de la Communication du Gouvernement d’Abdou Diouf. Le Groupe américain « Millicom » avait obtenu sa licence d’exploitation en 1998 avec le régime socialiste, pour 100.000 dollars US, pour une durée de vingt ans. Dix ans après (2008), le Gouvernement du Sénégal a décidé de revenir sur le contrat. Des arguments ont été fournis par des sources proches de la Présidence. Déjà, hier, avant la publication du communiqué du Gouvernement, des informations sur le coût des licences d’exploitation ont été véhiculées par des sources proches du Gouvernement du Sénégal. Ces sources présidentielles ont fait les comparaisons suivantes pour justifier leur décision contre Millicom Sentel. « Le montant de 50 millions de Fcfa (120.000 dollars) payé par Sentel, en juillet 1998, pour obtenir sa licence d’exploitation peut paraître « insignifiant ». Cette somme est comparée aux 98 millions de dollars obtenus à la même date par le Cameroun, pour la vente d’une de ses licences d’exploitation, ou aux 94 millions de dollars déboursés par « Kencell » pour une licence que lui a vendu le gouvernement kenyan. Ce constat a été fait par une source proche du dossier du différend entre le Sénégal et Millicom/Sentel, qui donne d’autres exemples comme celui du Mali, où France Télécom a obtenu en 2002 sa licence pour Matel à 104 millions de dollars. Au Soudan aussi, à la même période, Bashairtélécom a acheté ses droits d’exploitation en 2003 à 222 millions de dollars. La même source cite d’autres pays : Egypte (642 millions de dollars en 1996), Maroc (1558 millions de dollars en 1999). Les autres pays concernés par cette comparaison sont la Tunisie, avec 727 millions de dollars en mai 2002, l’Arabie Saoudite (3914 millions de dollars avec Etisalat en 2004) contre 3606 millions de dollars pour Irancell de l’Iran pour la même année. C’est en comparant ces prix avec celui de Sentel que le Gouvernement du président Abdoulaye Wade avait, dès sa prise de pouvoir, estimé que Sentel/Millicom avait obtenu une licence d’exploitation dans des conditions illégales », déclare une source proche de la Présidence.
Les arguments fournis par le Gouvernement du Sénégal peuvent être légitimes. Mais les esprits sains s’interrogent sur les procédures, sur les démarches enclenchées sur le dos des ministres concernés, des Directeurs généraux de l’Armp et du Gouvernement. Pourquoi Karim Wade et Thierno Ousmane Sy se chargent t’-ils de ce dossier, sans impliquer les personnes concernées de plus prés ? En 2008, le Président-Directeur général de Millicom, Mark Beuls (remplacé à la tête de cette direction) a rencontré Karim Wade à son titre de Conseil du président et en l’absence du ministre de l’Information et du Directeur de l’Armp. Pourquoi ? Lors de cette rencontre, « Karim Wade a demandé 200 millions de dollars », écrit le journaliste américain, au risque de perdre la licence. Les autorités de Millicom ont accepté de payer, mais à condition qu’il y ait des négociations préalables. Un délai a été fixé aux Américains pour payer 200 millions de dollars, au plus tard le 7 octobre à minuit. Face au refus des Américains de s’exécuter, une autre date est avancée, notamment le 9 octobre 2008.
Face à ces menaces, Millicom saisit, pour arbitrage, le Centre international de la Banque mondiale du règlement des différends relatifs aux investissements. Deux après, Thierno Ousmane Sy, fils de l’ancien ministre de l’Intérieur, aurait rencontré un responsable de Millicom. Plus grave encore, Thierno Ousmane Sy aurait suggéré à ce dernier de négocier sur la base de 160 millions de dollars. Qui a mandaté ce dernier ? Y a-t-il eu une réunion au sein du Gouvernement pour revoir à la baisse le coût de 200 millions à 160 millions de dollars ? Les Américains ont non seulement rejeté cette offre de Pape Ousmane Sy, mais ils ont ensuite sollicité un arbitrage.
LE COACHING MEDIA DE LA PRESIDENCE
Lorsque cette polémique a été soulevée pour la première fois, des stratégies ont été dégagées au niveau de la Présidence de la République pour gagner la bataille de la communication. L’ancien Conseiller spécial du président, Hassan Bâ, avait contacté des journalistes pour leur fournir des informations sur cette affaire. Il fallait, coûte que coûte, remporter la bataille de la communication face aux Américains. Mais certains journalistes n’avaient pas manqué d’exiger des preuves à Hassan Bâ sur les informations qu’il leur fournissait. Jusqu’à son départ des services présidentiels, il n’a fourni aucune preuve. Même le ministre de la Communication de l’époque, devenu ministre conseiller à la Présidence, Serigne Diop, devrait entrer en action en faveur du Gouvernement. Les caisses de l’Etat étaient affectées par les crises économiques de 2008 et 2009. C’est ainsi qu’il a demandé 100 milliards de FCfa à Sentel GSM et a voulu vendre ses actions à la Sonatel à 200 milliards FCfa.
La forte résistance opposée par Sonatel n’a pas simplifié cette décision de l’Etat qui a voulu, à tout prix, tordre le bras à Sentel. Vendredi 05 février 2010 aussi, le Gouvernement avait promis de publier un communiqué. C’est 72 heures plus tard que ledit communiqué sera rendu public. Il y aurait eu beaucoup d’atermoiements entre la Présidence et la Primature. Car, la vérité, c’est que le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye n’a rien à voir dans cette affaire. Bien qu’il soit normal qu’il se prononce, étant le chef du Gouvernement. Mais Karim Wade et Pape Ousmane Sy sont les seuls à pouvoir donner des explications crédibles dans cette affaire.
LE GOUVERNEMENT DU SENEGAL TOMBE DANS SON PIEGE
Les auteurs dudit XXX sont passés à côté. « Le Sénégal rappelle que la licence de Sentel, filiale de Millicom, a été régulièrement résiliée par exploit d’huissier, en date 29 septembre 2000, pour inexécution par Sentel de ses obligations au titre de la Convention de Concession qui la liait à l’Etat », indique le communiqué du Gouvernement. « A la suite d’une audience accordée par le chef de l’Etat au vice-président de Millicom, en présence du chargé d’Affaires de l’Ambassade des Etats-Unis et du conseiller spécial aux Nouvelles Technologies, Monsieur Thierno Ousmane Sy, l’Etat, dans l’attente de l’octroi d’une nouvelle licence, a accepté de permettre à Sentel de poursuivre provisoirement ses activités. L’appel d’offres pour l’attribution de la 3ème licence de télécommunications était alors en cours d’élaboration », ajoute le communiqué de la Primature. Selon le Chef du Gouvernement, « Messieurs Thierno Ousmane Sy et Karim Wade, ce dernier en sa qualité de Conseiller financier du Chef de l’Etat, étaient en charge du suivi dudit appel d’offres. Le montant de cette licence globale devait servir de référence à la fixation du prix de la nouvelle licence Millicom. Or, il s’est élevé à 200 millions de dollars, somme effectivement versée par l’attributaire, Sudatel, au Trésor Public de l’Etat du Sénégal ».
Mais le plus grave dans cette affaire, c’est ce qui suit. Dans ledit communiqué, il est écrit que « dés lors, en exécution des termes de l’accord du 9 Août 2002, l’Etat du Sénégal, représenté notamment par Messieurs Karim Wade et Thierno Ousmane Sy, assistés de la banque d’affaires Rothschild et du cabinet juridique Clifford Chance, a entamé, dans la plus grande transparence, des négociations avec Millicom International aux fins de fixer, par référence au montant de 200 millions de dollars payé par• Sudatel, le prix de sa nouvelle licence ». Le chef du Gouvernement a-t-il oublié que la Banque d’affaires Rothschild et le Cabinet juridique Clifford Chance, cités dans le communiqué du Gouvernement, sont deux structures épinglées par l’Agence de Régulation des Marchés Publics (Armp) dans leur dernier rapport d’audit 2008. Or, c’est la même banque et le même cabinet qui ont été les relais de Karim Wade et de Pape Ousmane Sy. Dans son dernier rapport d’audit, à propos des marchés passés par l’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes (Artp), il est révélé que la Banque Rothschild (cité dans le communiqué du Gouvernement), « a accompagné l’Artp dans le processus de cession de la troisième licence globale ». Selon le rapport d’audit de l’Armp, « sa sélection a été faite par entente directe non autorisée ».
La Banque Rothschild, choisie par Karim et Thierno, a facturé des honoraires estimés à 1.384.632.723 Fcfa, payés à hauteur de 999.999.886 Fcfa à la date du 31 décembre 2008. Deux mois avant, le différend entre l’Etat du Sénégal et Millicom a éclaté, au su de Karim Wade et de Pape Ousmane Sy. Encore plus grave, le cabinet Clifford Chance, choisi par le fils du président et Thierno Ousmane Sy, a aussi été épinglé par l’Armp. Dans ledit rapport d’audit 2008, il est dit que « ce cabinet d’avocats a également accompagné l’Artp dans le processus de cession de la troisième licence globale. Sa sélection a été faite par entente directe non autorisée ». Selon le rapport d’audit, « les paiements effectués à son profit au cours de l’exercice 2008 se chiffrent à 437.304.885 FCfa ». A qui appartient ce cabinet ? Pourquoi choisir par entente direct cette banque ? C’est une nébuleuse.
(Source : Rewmi, 9 février 2010)