Adiel Akplogan, directeur général d’AfriNIC : « L’adoption de l’IPV6, un enjeu de taille pour l’Afrique »
mardi 25 octobre 2011
L’African network information centre (Afrinic) est le registre internet africain, responsable de la distribution et la gestion des ressources internet (adresses IP et ASN) dans la région Afrique et Océan Indien. Dans cette interview, son directeur général, Adiel Akplogan, présent à la réunion de l’Icann 42 à Dakar, revient sur les enjeux liés à la libéralisation, à partir de janvier 2012, des noms de domaine génériques et au passage de l’IPV4 à l’IPV6, une transition dont dépend l’avenir d’internet. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Afrique n’est pas si mal partie dans ce domaine.
Quel est le rôle d’Afrinic que vous dirigez ?
« Afrinic est une société créée en 2005 et faisant partie des cinq registres globaux dans le monde, à raison d’un registre par continent, qui gèrent les noms de domaine sur internet. Donc, Afrinic, c’est le registre chargé de la gestion des adresses IP pour l’Afrique et l’Océan Indien. Son but essentiel est de s’assurer que tous les opérateurs dans les pays africains aient accès aux adresses IP qui sont les identifiants uniques permettant aux équipements de se connecter à internet. Nous jouons un rôle pas très visible pour les utilisateurs finaux, mais un rôle indispensable pour la connexion à internet. En dehors ce rôle technique, nous avons plusieurs programmes de formation et de développement des infrastructures Tic sur le continent. Depuis 2005, nous avons organisé une centaine de formations dans 48 pays africains sur la gestion des ressources internet et sur la transition de l’IPV4 vers l’IPV6. Ce qui est un enjeu de taille pour nous, puisque la pérennité et le développement de l’internet dépendent fondamentalement de notre adoption de l’IPV6 ».
Quelles activités avez-vous prévues dans le cadre de cette 42e réunion de l’Icann à Dakar ?
« J’ai déjà participé, la semaine dernière, à la réunion ministérielle préparatoire à cette 42e réunion de l’Icann, où nous avons contribué, en tant qu’experts, à la discussion sur les enjeux de la réunion d’Icann. Nous avons contribué à la rédaction du communiqué final (des ministres africains des Tic) qui, essentiellement, demande une plus grande proximité d’Icann avec les gouvernements africains. Durant la semaine, en plus d’une exposition pour faire connaître nos activités, nous avons prévu une table ronde sur le développement et la participation aux règles de gestion de l’IPV6 et sur la formation et le renforcement des capacités des experts africains en matière de Tic ».
Quelles sont les enjeux liés à la libéralisation par l’Icann de l’attribution des noms de domaine génériques à partir de janvier 2012 ?
« C’est une décision très économique, parce que cela permet de créer à l’infini de nouveaux noms de domaines en fonction de l’évolution en générale et des besoins. Pour l’Afrique, le premier enjeu, c’est de nous assurer que notre environnement et notre culture sont bien protégés dans cette course vers les noms de domaine. Dans la mesure où l’accès à ces noms de domaine sera ouvert, il y a de forts risques que des noms qui ont trait à l’Afrique (comme le « Dot Africa ») soient pris et exploités (à des fins économiques) par des non Africains. Il est donc important que nous comprenions et participions à ce processus. Le deuxième enjeu, c’est la possibilité pour l’Afrique de profiter de cet environnement économique lié aux noms de domaine. C’est un business où l’Afrique est sous-représentée. A titre illustratif, sur les mille et quelques registres qui existent dans le monde, l’Afrique n’en a que cinq. Ce qui est très peu pour développer une industrie de l’internet en Afrique. Donc, cette ouverture peut être une opportunité pour nous de créer des entreprises pouvant se positionner et compétir dans le business des noms de domaines. Au-delà de ces enjeux, je crois qu’il s’agit d’une évolution normale de l’environnement d’internet, puisque les domaines classiques que nous connaissons (.com, .org, .net, etc.) commencent à être saturés, ce qui fait qu’il est maintenant très difficile d’en trouver de disponibles. Toujours est-il que le plus gros défi en Afrique, c’est que les Cctld (noms de domaine pays) sont encore dans un état qui ne permet pas leur utilisation ».
L’Union africaine est dans une phase de sélection d’une structure pour gérer le « Dot Africa ». Y’a-t-il sur le continent des ressources humaines et des opérateurs qualifiés pour gérer ce système ?
« Oui, nous pensons qu’il y a des compétences très pointues en Afrique pour la gestion des noms de domaine, même si nous ne disposons pas encore une masse critique.
Toutefois, pour le projet « Dot Africa », nous préconisons un modèle en trois étapes. D’abord, une étape d’incubation, c’est-à-dire une sorte de joint-venture entre une société africaine avec une autre société internationale qui a déjà de l’expérience dans la gestion des noms de domaine à l’échelle globale, avec comme objectif un transfert de compétences sur une période donnée, si bien que, pendant les premiers mois, il y aura un partenariat technique qui permettra d’accroître les capacités des ressources humaines locales. De sorte qu’après la période d’incubation, ce domaine puisse être géré physiquement en Afrique, parce que pour nous, l’objectif c’est de renforcer l’industrie des noms de domaine et d’internet, de manière générale, sur le continent. Deuxièmement, accroître le support logistique aux noms de domaine pays qui ont besoin d’infrastructures sûres pour pouvoir opérer. Si « Dot Africa » arrive à créer une infrastructure solide, au standard global, on pourra parfaire les Cctld ».
En quoi le déploiement du protocole d’IPV6 est vital pour l’Afrique ?
« La réponse est simple. Les identifiants sur internet sont les éléments critiques pour se connecter ; sans adresse IP on ne peut pas se connecter à internet. Le protocole IPV4 que nous avons utilisé jusque-là arrive à son terme. Cela veut dire que les nouveaux arrivants ne pourront plus se connecter à internet. Donc, pour pérenniser le développement d’internet, il faut un nouveau protocole. Et l’IPV6 est la solution. C’est un élément essentiel pour envisager, de façon pérenne, le développement d’internet. C’est dire que l’avenir d’internet dépend d’IPV6 ».
Est-ce que l’Afrique suit le rythme du reste du monde dans ce processus de migration vers l’IPV6 ?
« Sur ce plan, l’Afrique n’est pas aussi mal placée qu’on peut l’imaginer, même si internet est encore très récent en Afrique. Aujourd’hui, le taux de pénétration de l’IPV6 en Afrique tourne autour de 10,5 %. Ce qui veut dire qu’à peu près 10,5 % des réseaux qui sont opérationnels sur l’IPV4 ont aussi l’IPV6. Ce qui nous met, par exemple, devant les Etats-Unis qui sont à actuellement à 8 %. Donc, l’Afrique se situe à une bonne place dans la moyenne mondiale (estimée entre 10,5 et 11 %). Nous sommes donc dans le même bateau que tout le monde. Et Afrinic a, depuis sa création en 2005, focalisé ses efforts dans la formation des ingénieurs pour les aider à planifier la transition de l’IPV4 vers l’IPV6, parce que nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas sereinement parler du développement d’internet pour les années à venir sans parler d’IPV6. Même s’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine, l’Afrique n’est pas si en retard que ça. Notre objectif, c’est d’atteindre plus de 50 % de taux de pénétration d’ici à la fin de l’année prochaine. L’avantage que nous avons, c’est que, comparée aux autres régions du monde, il nous reste encore beaucoup d’adresses IPV4 du fait du faible taux de pénétration d’internet en Afrique.
Ce qui nous donne une marge d’un à deux ans pour planifier la transition. Toutefois, nous nous attelons à expliquer aux opérateurs que ce n’est pas parce que nous avons encore des adresses IPV4 que nous devons dormir sur nos lauriers ; nous devons profiter de cette marge de manœuvre pour bien planifier la transition, de sorte que, lorsque nous aurons épuisé nos adresses IPV4,
nous ne puissions pas avoir les mêmes problèmes que connaît la région Asie aujourd’hui ».
Propos recueillis par Seydou Ka et Omar Diouf
(Source : Le Soleil, 24 octobre 2011)