Acquisition de Tigo par Wari : L’ASUTIC redoute un mariage pour le pire
lundi 13 février 2017
Si l’union entre Tigo et Wari devait être scellée à l’Eglise, l’Association sénégalaise des usagers des Tic se serait levée pour manifester son désaccord. Au-delà d’une kyrielle de reproches à l’encontre des deux sociétés, Ndiaga Guèye et ses camarades veulent surtout avoir plus d’informations sur les conditions de l’union.
L’acquisition de l’opérateur téléphonique Tigo par le groupe de transfert d’argent Wari n’a pas trouvé qu’approbation et félicitations auprès des Sénégalais. Dans un communiqué, l’Association sénégalaise des utilisateurs des TIC (ASUTIC) se montre très critique à l’encontre des deux sociétés et se pose moult questions par rapport à cette transaction. ‘’Avec quelle société Millicom a-t-il trouvé un accord ? Quel est le montage financier effectué par Wari qui a abouti à cet achat de Tigo Sénégal ? Wari a-t-il acheté 100% des actions de Millicom ou une partie ? Quelle est la répartition du capital ?’’ se demandent le président Ndiaga Guèye et ses camarades, à travers le document. Pour eux, il faut plus d’informations afin d’édifier les gens sur ce qui s’est réellement passé. Ils s’étonnent aussi du fait qu’il y ait eu une large publicité sur l’affaire, alors que l’Etat du Sénégal n’a pas encore donné son aval.
Si l’organisation se montre aussi sceptique sur la transaction, c’est qu’elle a beaucoup de griefs contre les deux sociétés. ‘’Wari est présentée comme une success story, dont on ne publie jamais les états financiers pour le prouver. (…) En outre, cette société traîne beaucoup de casseroles : d’innombrables conflits entre les actionnaires, sur fond d’accusation de gestion opaque qui atterrissent au tribunal, des redressements avec le fisc sénégalais, les litiges récurrents avec le réseau national des prestataires du transfert d’argent sans oublier un service client souvent décrié’’, énumère-t-on. Tigo n’est guère mieux lotie à la bourse de l’association. Ses dirigeants n’y voient que des manquements, pire encore, des actes délictuels. ‘’Tigo Sénégal est plus connu des Sénégalais dans des activités de fraude que par la qualité de ses services. D’ailleurs, cette société n’a jamais dépassé les 25% de parts de marché, malgré sa présence au Sénégal depuis 19 ans (1998)’’, renchérit le communiqué.
Fraude fiscale, publicité trompeuse…
Pour étayer leurs affirmations, les rédacteurs du document rappellent que Tigo a été épinglée, en Juillet 2016, par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) pour fraude sur des stations radioélectriques. Le directeur de l’ARTP avait aussi révélé à la même occasion que l’opérateur devait à l’Etat un montant de 6,6 milliards F CFA représentant les liaisons non facturées, parce que non déclarées à l’ARTP. (Une fraude dans laquelle étaient aussi impliquées les autres sociétés, selon Abdou Karim Sall). Ce n’est pas tout, puisque, si l’on se fie à l’organisation, ‘’Tigo a démarré l’année 2017 par un redressement fiscal de 5 milliards de F CFA, et le Trésor public a dû procéder par la force (un avis à tiers détenteur) pour percevoir une partie de la somme réclamée’’.
A cela s’ajoutent deux plaintes (6 janvier et 1er février) de l’association en début d’année contre Tigo respectivement pour ‘’publicité trompeuse’’ et information incomplète tendant à induire en erreur les usagers. ‘’Fort de ce constat, cette transaction entre ces deux sociétés, l’une ayant des méthodes de gestion décriées, l’autre adepte d’actes de gestion peu recommandables, n’annonce rien de positif pour les utilisateurs des TIC au Sénégal en termes de qualité de services, d’accessibilité et de tarifs abordables, malgré les déclarations d’intention dans ce sens sur fond de patriotisme’’, se démarque l’ASUTIC. Justement, ce dernier point censé peser sur la balance ne fait pas le poids auprès de l’organisation. C’est un argument qui ne passe pas, puisque l’association, considérant tout entrepreneur comme un acteur à la recherche de gain potentiel, refuse d’accepter ‘’l’instrumentalisation du sentiment patriotique des Sénégalais à des fins mercantiles’’.
Ainsi, l’association n’entend pas surfer sur la vague du nationalisme économique. Elle préfère prendre au mot le patron de Wari, Kabirou Mbodji qui, si l’on en croit cette organisation, a déclaré dans une interview ‘’que Wari n’est pas une société sénégalaise, même si sa base se trouve à Dakar’’. Il s’y ajoute que, renchérit-on, Wari a déjà créé un holding au Togo et une société au Luxembourg, siège de Millicom, propriétaire de Tigo. Une façon pour l’association de se demander s’il y a un lien entre ces faits. A lire le communiqué, on se demande si l’organisation ne perçoit pas cette acquisition comme un mariage pour le pire.
Babacar Willane
(Source : Enquête, 13 février 2017)