Acquisition de Tigo par Wari : quelques éléments d’analyse stratégique
vendredi 10 mars 2017
Passé le premier sentiment de fierté après l’annonce du rachat du deuxième opérateur de télécommunications au Sénégal, TIGO, filiale de Millicom (internationale) par la société de transfert d’argent et de services sénégalaise WARI, analysons du point de vue stratégique cette opération d’acquisition.
Une acquisition se justifie quand la restructuration qui en découle crée de la valeur pour l’acquéreur. Le cédant, lui, gagne presque à tous les coups car, en plus de la valeur de son entreprise, reçoit une prime de cession. De source officielle, le prix de la vente s’élève à 129 millions de US dollars (FCFA 79 milliards).
L’acquéreur, lui, poursuit généralement trois types d’objectifs stratégiques : acquérir des ressources ou des capacités de grande valeur, augmenter son pouvoir de marché et/ou réaliser une diversification géographique ou de marché.
Du point de vue des ressources, les entreprises les plus convoitées sont celles qui disposent de ressources qui ne sont pas transférables ou qui sont difficiles à répliquer.
En tant qu’opérateur de téléphonie mobile, la ressource la plus « valuable » que TIGO possède est sa licence de télécommunications dont la validité a été rallongée jusqu’en 2028 par l’Etat du Sénégal pour la somme de FCFA 50 milliards. Un investisseur qui désire se lancer dans les services de télécommunications n’a d’autre choix que d’acquérir un opérateur déjà présent sur le marché ou d’attendre la mise en vente hypothétique d’une licence par les autorités gouvernementales.
Toujours du point de vue des ressources, avec le réseau de TIGO, le provider de services de monnaie électronique et de transfert d’argent WARI a accès désormais à des technologies et services (cartes SIM, codes USSD…) qui sont habituellement sous le monopole des opérateurs de télécommunications et qui sont pourtant très utiles pour opérer dans le marché de la monnaie électronique.
En effet, jusque-là au Sénégal, les opérateurs de télécommunications ont le monopole des Codes USSD et des cartes SIM qui permettent aux opérateurs de services de monnaie électronique sur support de téléphone mobile d’offrir un service convivial et sécurisé à moindre coût aux usagers. La sécurité des transactions et la convivialité des interfaces étant deux facteurs clés de succès dans l’offre de services sur ce marché, WARI a désormais les capacités technologiques de rivaliser avec son concurrent désigné Orange Money.
S’agissant d’augmenter son pouvoir de marché et donc son avantage concurrentiel, WARI rajoute, avec cette acquisition, plusieurs cordes à son arc.
Les télécommunications, aussi bien que les services financiers mobiles sont deux industries caractérisées par une économie de réseau, et, dans lequel l’opérateur qui a le plus grand nombre d’utilisateurs gagne un avantage compétitif certain grâce des économies d’échelle conséquentes sur les coûts. Avec les 3.9 millions d’utilisateurs potentiel déjà présents dans le réseau TIGO, WARI a de quoi étendre substantiellement ses parts de marché dans les services de mobile money.
Il faudra aussi compter avec le sentiment de fierté né de cette acquisition qui peut booster sensiblement le parc d’abonnés au réseau de TIGO et le nombre d’adhérents aux services offerts par WARI. Cet objectif stratégique d’augmenter son pouvoir de marché dans les services financiers mobiles est d’autant plus pertinent que WARI fait face au géant ORANGE MONEY (service de e money de l’opérateur Orange) avec ses presque 8 millions de clients potentiel (parc client orange 7,9 millions abonnés au 31 déc. 2016).
Conséquence des effets de réseau, avoir plus d’utilisateurs implique davantage de données clients, et donc un meilleur profilage de leurs besoins et une offre de service la plus adéquate possible.
De l’autre côté de la balance, des synergies possibles dans les fonctions managériales, de distribution et de marketing, pour ne citer que celles-là, vont réduire sensiblement les coûts et booster la profitabilité des activités.
Des gains d’efficience substantiels pourront découler de l’intégration des activités de mobile money déjà existants de TIGO et de WARI grâce, notamment, au transfert d’expertise et à la mutualisation des systèmes opérationnels.
S’agissant de la diversification de marché, WARI s’engouffre dans le domaine rentable de la télécommunication mobile et est susceptible d’apporter un souffle nouveau au réseau de TIGO dont les parts de marché (26%) ont du mal à évoluer face au puissant opérateur Orange. Avec une pénétration de 102% au 31 décembre 2016, le marché des télécommunications mobiles au Sénégal arrive à maturité, signalant un avenir qui sera bientôt tributaire de l’innovation dans l’offre de services, notamment les services financiers mobiles.
Forte de ces considérations stratégiques, l’acquisition de TIGO par WARI pose néanmoins des défis de taille (comme pour toutes les opérations de ce genre) dont le premier consiste à avoir la capacité de manager l’intégration. En plus d’appartenir à deux industries différentes, les deux entreprises ont des cultures différentes et les gains attendus ne pourront provenir que d’une restructuration très performante des fonctions managériales et opérationnelles. La question de l’intégration opérationnelle est d’autant plus sensible qu’elle ne devra en aucun cas déboucher sur la dégradation de la qualité des services.
Il faut noter toutefois que l’opération d’acquisition n’est pas encore une réalité. Le Code des Télécommunications stipule, en son article 27, que « les licences délivrées par décret…sont personnelles » et, en son article 28, que « les licences ne peuvent être cédées à un tiers que par décret. Cette cession implique la poursuite du respect de l’ensemble des dispositions de la licence ».
Pour en revenir au succès post acquisition, se conformer à la régulation de ces deux activités peut en lui-même être un défi. L’entité WARI, habituée à la régulation des Banques Centrales devra aussi se soumettre au Sénégal, à la régulation des activités télécom autrement plus contraignante. Le challenge sera de mettre en place une organisation et des processus à la fois bien intégrés (et optimisés) et capables de répondre aux besoins des deux régulateurs. Il faudra aussi sans doute s’adapter aux évolutions prévisibles de la régulation des services de monnaie électronique et des technologies (convergence, régulation de la qualité de service, accès partagé aux technologies notamment).
Diago Diouf Fati,
MBA, Msc in Finance
Texte publié le 7 mars 2017 sur Linkdin
(Source : Social Net Link, 10 mars 2017)