Abdoulaye Ndiaye, secrétaire général du syndicat Sonatel Multimédia : « Après analyse, je pense que l’Etat a déjà vendu ses actions »
vendredi 29 mai 2009
Selon l’analyse des syndicalistes de la Sonatel, la société de téléphonie française comme en terrain conquis déroule déjà des plans d’actions axés autour des 52% des actions de la Société. L’Etat français se solidifie dans le capital de France-Télécom, transformant ses dividendes 2008 en actions, au moment où le Sénégal prend le chemin inverse. A la relecture des termes du protocole, de la nouvelle stratégie de France-télécom, les Syndicalistes de la Sonatel semblent plus conscients que le combat ne les oppose plus seulement à l’Etat, mais plutôt à la Multinationale française. Sur les non-dits, enjeux et perspectives, Abdoulaye Ndiaye, secrétaire général du syndicat Sonatel Multimédia est revenu à cœur ouvert, largement sur cette question qui semble prendre une nouvelle tournure.
Rewmi Quotidien : Monsieur Ndiaye, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Abdallah.NDiaye, je suis le secrétaire général du syndicat de Sonatel Multimédia. Poste que j’ai occupé pendant dix ans. J’étais à Télécom-plus une filiale de France-Télécom qui est devenue Sonatel-Multimédia, puis 100% Sonatel. On a traversé pas mal d’épreuve. Nous avons connu ce que c’est la confiance, le partenariat, la filiale en quelque sorte. Cause pour laquelle je peux en parler et malheureusement ce vers quoi on tend est de faire de la Sonatel une filiale. Ayant travaillé avant dans une filiale de France Télécom je suis en mesure de prédire ce qu’on va représenter si on y tient garde.
Rewmi Q. : Si on revient un peu à l’actualité, malgré les points d’entente trouvés entre le Syndicat et l’Etat, il semblerait le bras de fer autour de la vente d’une part des actions de l’Etat est loin d’être terminé ?
A.ND. Merci de le préciser, on disait que l’Etat fléchit mais en fait, il semblerait qu’il ne recule que pour mieux sauter. Le Gouvernement avait dit en premier lieu « Je suspends les négociations » pour que vous puissiez proposer d’autres solutions. Nous avions donc préconisé que l’on vende d’abord aux Nationaux. Mais en réalité quand on regarde le protocole d’accord, celui signé entre l’Etat et France Télécom, il est bien stipulé dans les termes que s’il y a un désaccord entre les parties, ce différend sera jugé par la Chambre de Commerce Internationale. C’est tellement clair que je ne suis pas de ceux qui croient que les autorités ont reculé ou sont revenues à de meilleurs sentiments. Je suis plutôt de ceux qui pensent que l’Etat a des obligations de vente. C’est pourquoi nous voulons maintenir la pression jusqu’à ce que France-Télécom recule. Dans cette partie, le Sénégal est d’un coté obligé de vendre, de l’autre, il n’y a que France Telecom qui peut dire officiellement « Ecoutez, moi je sors de cet accord » Ce n’est qu’au moment où la Société française se serait prononcé en ce sens que nous du syndicat nous pourrons effectivement dire que l’Etat a reculé.
R.Q Quelles seraient les conséquences si l’Etat revenait sur sa décision de vendre à France Télécom. ?
A.ND. Je viens de le dire tantôt, l’Etat ne va même pas prendre ce risque, si vous avez suivi l’interview de Thierno Ousmane Sy, vous verrez qu’il est très mitigé dans ses propos. Tantôt il dit espérer que France Telecom n’irait pas jusqu’au bout pour faire valoir ses droits, tantôt il dit que l’Etat a la totale mainmise sur la vente de ses actions et peut librement se retirer ou non. Mais une analyse sérieuse prouve que non. L’Etat a les mains liées.
R.Q. Le Ministre de l’Economie et des Finances avait parlé d’un droit de préemption envers France Telecom. Qu’en est-il exactement ?
A.ND. Oui, ce droit existe et même du temps du parti socialiste si vous vous souvenez l’Etat du Sénégal avait vendu 9% de ses actions et pourtant en ce moment on était coté déjà en Bourse. Donc ce droit existait, ce qui fait que l’Etat en cas de vente doit s’adresser en premier lieu à France Telecom. Si maintenant cette dernière se désiste, le Sénégal peut alors se retourner vers les autres membres actionnaires. Mais devant ce « cadeau » de l’Etat, la société française ne va pas se désister si
facilement.
R.Q. Y’a-t-il des indices qui montrent que l’Etat est en train de négocier avec elle en sourdine, ou a-t-il effectivement suspendu cette vente ?
A.ND. L’Etat a arrêté les négociations parce qu’à mon avis, il a déjà vendu. Nous on le considère ainsi. Vu le protocole et d’après une analyse que nous avons faite, France Telecom est en train de dérouler son plan d’action autour des 52% d’actions qu’elle détient ou détiendrait. Même à travers les médias en Europe, elle affiche 52% d’actions de la Sonatel. Donc il y a des non-dits et leurs plans d’actions sont présentement en train d’être déroulés. Nous avons des soupçons vis-à-vis de ses filiales car notre visibilité n’est pas large là-dessus. Et comme dans les pays voisins l’engouement des populations n’est pas comme au Sénégal, elles ne se sentent pas directement impliqués dans ces transactions, nous nous demandons si l’application de la détention des 52% de France Telecom n’est pas déjà effective dans ces filiales.
R.Q Avec la crise financière actuelle, l’Etat ne cache pas son besoin criard d’argent pour terminer ses Grands Travaux. Êtes-vous seulement contre les ventes d’actions à France Telecom ou contre toute forme de vente ?
A.ND. D’abord il y a la vente des actions qui cible France Telecom et le fait que l’Etat vende. Ce sont deux choses distinctes. Nous nous ne voulons pas que France Telecom dépasse les 42% d’actions. Pourquoi ? Nous payons une taxe sur la marque Orange qu’on nous a imposée. C’est comme si la France devenue notre sponsor, au lieu de nous payer pour porter sa marque, nous demandait de le rétribuer en retour. Cet état de fait lui est devenu légitime avec ses 42%. La taxe sur leur management nous coûte chaque année à 7 milliards, grâce toujours à leur 42%. Que l’Etat cède une part de ses actions à des nationaux est acceptable, mais personnellement je suis contre toute cession. Et ce n’est pas gratuit, car au moment où je vous parle, la France demande à France-Telecom de lui payer ses dividendes de 2008 en actions. C’est-à-dire que l’Etat est en train de se solidifier dans France-Telecom un secteur porteur de croissance, au moment le nôtre s’affaiblit dans celui de la Sonatel. Donc à la limite, on peut dire que la France comprend mieux que le Sénégal les enjeux que représentent les télécommunications dans le développement socio-économique mondial. C’est malheureux de voir le Sénégal prendre le sens contraire.
R.Q. Que craignez-vous du schéma d’une France-Télécom majoritaire à 52% ? Une restructuration, des licenciements ?
A.ND. Là aussi il y a des craintes de pertes d’emplois, car si vous avez suivi l’actualité, un représentant de la Banque Mondiale dans une interview accordé au journal ‘’Le monde’’ avait souligné une pratique que les Multinationales appliquent en Afrique et qu’ils refusent chez eux. Elles nationalisent les Entreprises et les Banques contribuant ainsi à diminuer les pouvoirs d’achats. Nous sommes conscients que seul le gain les intéressent mais pas le volet social. Si réduire le personnel leur amène plus de bénéfices, ils ne se soucieront pas des pères ou mères de famille au chômage. Sonatel pour l’année écoulée a contribué pour 176 milliards CFA en terme de revenus aux entreprises locales. Forte de ses 52% d’actions France-Telecom délocalisera le travail de ces entreprises qui n’auront plus matières. Ce ne sera pas Sonatel seulement qui aura des problèmes mais nos sous-traitants aussi !
R.Q. D’autres plans d’actions au cas où l’Etat revenait à la charge ?
A.ND. Notre souci n’est pas que l’Etat revienne sur sa position. Ce que nous voulons est que France Télécom se désengage officiellement, car après analyse nous savons que l’Etat ne peut plus faire marche arrière. Et nous ne voulons pas pousser l’Etat vers des poursuites internationales car ce pays est le nôtre. Nous avons des moyens en interne pour lutter contre France Télécom mais c’est trop tôt d’en parler. Et comme je l’ai dit à vos confrères de ‘’Jeune Afrique’’ nous sommes respectueux des lois et règlements et nous savons comment agir en toute légalité. J’en profite pour remercier la population qui a compris que ce combat n’était seulement le nôtre mais celui de tout un peuple, mais aussi l’ensemble de nos camarades, des partis politiques et de la Société Civile.
(Source : Rewmimi Quotidien, 29 mai 2009)