Abdoul Ly, DG de l’Artp : « Nous comptons attribuer les fréquences 5G cette année »
mercredi 18 janvier 2023
En 2023, le secteur des télécommunications va connaître un nouveau tournant avec l’attribution des fréquences 5G. En effet, selon le Directeur général de l’Artp, les études et le processus qui permettront de les attribuer aux opérateurs est bien enclenché. Elle constituera une véritable « révolution » avec les avantages qu’elle offrira dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, selon Abdoul Ly. Mais dans cet entretien, il a été aussi question du bilan de l’Artp en 2022, du dénouement du litige entre Wave et Sonatel, du vol de câble, de la situation de la Poste…
Monsieur le Directeur général, 2022 vient de s’achever et l’on a le sentiment que l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) n’a jamais été aussi active. C’est le cas où c’est juste une impression ?
Permettez-nous tout d’abord de rendre grâce et gloire à Dieu qui nous a prêté vie et santé tout en nous permettant d’être à cette position stratégique que nous occupons grâce à la confiance du Chef de l’État, Son Excellence Monsieur Macky Sall, que nous remercions infiniment et qui constitue une fierté pour notre pays, au vu de sa vision et de ses réalisations. D’ailleurs, toutes les réponses que je serai appelé à apporter au cours de cette interview constituent une déclinaison de sa vision éclairée. Pour revenir à votre question, 2022 aura été une année particulière pour l’Artp, avec beaucoup de réalisations et la mise en œuvre de nombreux projets. En notre, qualité d’institution étatique chargée d’assurer l’équilibre des secteurs des télécommunications et des Postes, 2022 a été l’année qui a permis de finaliser un nouveau plan stratégique à l’élaboration duquel toutes les parties prenantes ont participé pour exprimer leurs préoccupations et faire des recommandations. Ce plan s’inscrit dans les orientations des politiques publiques du Sénégal au premier rang desquelles le Pse et la Stratégie numérique 2025. L’année 2022 a aussi permis de nouer des partenariats avec des structures étatiques dans une approche de corégulation. En effet, aujourd’hui, avec l’émergence de l’économie digitale qui a une dimension transversale en tant que socle de développement de tous les secteurs de la vie économique, aucun acteur étatique ou régulateur ne peut fonctionner en vase clos. Autrement dit, les régulateurs sont obligés de collaborer pour adresser certaines questions. C’est la raison pour laquelle, nous avons noué des partenariats avec l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (Anat), l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), l’Ageroute, pour ne citer que ces exemples, au-delà d’autres conventions conclues avant. 2022 a vu également la réélection du Sénégal au Conseil de l’Union internationale des télécommunications (Uit). Ladite réélection ne fait que sanctionner positivement l’Artp et les efforts des autorités gouvernementales de notre pays, dans le numérique, sous l’égide de Son Excellence, le Président de la République Macky Sall. Nous avons également remodelé les sanctions appliquées aux opérateurs de télécommunications en décembre 2021. Il s’est agi de privilégier les investissements des opérateurs pour améliorer la qualité de service et la couverture. En d’autres termes, une partie importante des pénalités issues des sanctions ont été réorientées vers les investissements sous la supervision de l’Artp qui, pour plus de transparence, a recruté un cabinet indépendant pour le suivi. C’est ainsi que les décisions revues ont mis à la charge des opérateurs : Vingt milliards (20.000.000.000) de Fcfa d’investissement pour Sonatel, sur une période maximale allant jusqu’au mois de décembre 2023 ; un-milliard-six-cent-quatre-vingt-dix-neuf-millions-six-cent-soixante-dix-sept-mille-quatorze francs (1.699.677.014) Fcfa pour Free ; un-milliard-cent-quatre-vingt-onze-millions-neuf-cent-quatre-mille-quarante-quatre (1.191.904.044) Fcfa pour Expresso Sénégal. Cette nouvelle réorientation des sanctions initiales a le mérite de réparer directement le préjudice subi par les consommateurs, de faire valoir la responsabilité sociétale et morale des opérateurs, en plus de leurs obligations règlementaires intrinsèques et surtout de présenter une variation globale positive de 28,32%, soit, en valeur absolue nette, cinq-milliards-sept-cent-quarante-quatre-millions-neuf-cent-soixante-onze quatre-cent-quatre-vingts (5.744.971.480) Fcfa. Un cabinet indépendant suivra l’effectivité de la réalisation de ces besoins supplémentaires et coercitifs d’investissements qui viennent en sus des besoins annuels obligatoires d’investissements. De même, nous avons réalisé une vaste campagne de contrôle des rayonnements non ionisants. Les résultats seront partagés en début d’année avec le public en relation avec les équipes de Madame le Ministre de la Santé et de l’Action sociale que nous remercions au passage pour l’accompagnement. Enfin, sans pour autant être exhaustif sur la liste, il nous plait de rappeler que c’est l’année où les travaux sur la 5G ont démarré.
Le 1er décembre dernier, vous avez tenu la 5e édition du forum national sur le développement des services à valeur ajoutée (Sva). On a envie de demander : quelle valeur ajoutée cela aura pour le consommateur ?
L’Artp a pour mission générique d’assurer l’équilibre du secteur. Or, la recherche de cet équilibre a pour finalité d’organiser une concurrence saine et loyale au bénéfice des consommateurs et de la collectivité. Cette journée avait pour objectif d’échanger avec les acteurs dans l’optique d’une régulation collaborative. C’est dans ce cadre que s’inscrivait cette réunion avec les fournisseurs de services à valeur ajoutée autour de thématiques d’actualité. Comme vous l’avez rappelé, cette réunion en est à sa 5e édition et a, entre autres finalités, pour les consommateurs, d’exprimer leurs besoins pour leur prise en compte par les opérateurs, y compris les fournisseurs de services à valeur ajoutée. En effet, on sait que les fournisseurs de services à valeur ajoutée sont des acteurs importants dans le marché des télécommunications, surtout avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme les agrégateurs. Sous ce rapport, promouvoir les fournisseurs Sva revient à soutenir les start-ups en faveur desquelles, sous l’égide de Son Excellence, Macky Sall, Président de la République, une loi et un décret d’application ont été adoptés pour promouvoir lesdites activités. C’est la raison pour laquelle nous mettons à jour régulièrement nos décisions pour les adapter aux nouveaux défis du secteur et les nouvelles segmentations des marchés pour aménager, à chaque acteur, un espace économique où il pourrait évoluer au bénéfice des consommateurs qui verront l’accès aux services amélioré et les tarifs diminuer. Cette démarche s’inscrit aussi dans notre volonté de soutenir les champions sénégalais de demain en leur offrant un socle favorable à l’éclosion de leurs projets.
Les vols et coupures de câbles ont éprouvé cette année l’Artp. Quels sont les préjudices de tels actes et comment comptez-vous faire pour y remédier ?
Effectivement, les coupures de câbles sont des phénomènes inhérents aux travaux de routes ou de Btp, de voirie ou de génie civil en général. Le vol de câble est aussi un fléau qui impacte négativement la qualité et la couverture des services de télécommunications. Face à cette situation, en ma qualité de Directeur, j’ai réuni, dernièrement, tous les acteurs autour de ces problématiques pour qu’ensemble nous puissions trouver des solutions. Dans ce contexte, les acteurs ont été invités à poser les jalons d’une collaboration dont l’issue sera de réduire les risques de coupures de câbles ou de fibre optiques. Il s’agira de réfléchir également sur les mesures correctives en cas de dégâts. Par la même occasion, nous voulons sensibiliser les populations représentées ici par les nombreuses associations de consommateurs sur les vols de câbles. Nous avons d’ailleurs beaucoup insisté sur la prévention qui nous semble primordial pour améliorer la coordination des activités de déploiement du réseau télécom. Je rappelle que le préjudice subi s’évalue à près de cinq des milliards de Fcfa par an pour les opérateurs sans oublier les impacts négatifs sur la couverture et la qualité de service avec tous les désagréments causés aux utilisateurs.
Le litige Wave-Sonatel est l’un des dossiers que l’Artp a eu à diligenter. Comment êtes-vous arrivé à trouver un terrain d’entente entre les deux parties ?
Depuis quelque temps, l’Artp était en train de dénouer le différend entre Wave et Sonatel sur la vente de « Air time » (crédit prépayé). En tant que régulateur ayant pour mission générique la recherche de l’équilibre, nous privilégions des solutions consensuelles de médiation pour la poursuite des relations commerciales. C’est dans ce cadre que nous avons demandé à Sonatel d’appliquer à Wave le même traitement qui est accordé à sa filiale Orange Finances Mobiles qui commercialise Orange Money. Avec la hauteur d’esprit des deux parties et la démarche de compliance (Conformité juridique) de l’Artp, aujourd’hui, on assiste à une poursuite des relations commerciales entre Wave et Sonatel au bénéfice des consommateurs. Le dénouement de cette affaire montre à suffisance l’importance de la régulation agile et collaborative avec toutes les parties prenantes, qui doit être de mise dans le contexte actuel.
Au mois d’octobre 2022, l’Artp a été victime d’une cyberattaque ? Cela a suscité de nombreux commentaires et on parle même de demande de rançon. Qu’en est-il exactement ?
Vous avez raison, des informations faisant état d’un piratage de données dont l’Artp serait victime, ont circulé un moment sur les réseaux sociaux. Après de sérieuses investigations en relation avec les services compétents de l’État, il s’avère que des intrusions ont effectivement été constatées et ont concerné son système de messagerie. Devant cette situation, des mesures conservatoires avaient été prises et les autorités étatiques compétentes avaient été saisies afin de juguler ensemble ce fléau. Le secret qui doit entourer les investigations et mesures en cours ne permet pas à l’Artp de communiquer davantage sur ce sujet. Toutefois, l’Artp tient à rassurer les partenaires que toutes les dispositions ont été prises et les diligences apportées pour le règlement de cette affaire.
Quelles leçons avez-vous tirées de cet épisode ?
Le numérique s’accompagne forcément de revers comme la cybercriminalité. Mais ce fléau qui concerne tous les secteurs de la vie économique n’est rien comparé aux avantages offerts par les communications électroniques. Puisqu’aucun secteur n’est à l’abri de ces attaques, il faut surtout renforcer la sécurité des réseaux et former les personnels des sociétés aux comportements et réflexes de sécurité. Je tiens à préciser que le système d’information de l’Artp est sécurisé, mais aucun dispositif n’est sans faille. Il faut juste davantage de vigilance.
Face aux difficultés de la Poste, la question de sa restructuration est posée à nouveau sur la table. Alors, comment réguler le secteur postal à l’heure du numérique ?
Le secteur postal fait face, aujourd’hui naturellement, à des difficultés liées principalement à la baisse des volumes du courrier physique avec l’avènement du numérique. C’est l’occasion d’apprécier, à sa juste valeur, les instructions données par Le Chef de l’État, dans le sens de la restructuration de la Société nationale « La Poste ». Toutefois, je reste convaincu qu’à l’heure du numérique et son corollaire postal que constitue le commerce électronique, le défi majeur du secteur réside dans l’appropriation des technologies et dans le développement de la filière colis pour être au rendez-vous des résultats attendus dans ce domaine. Il en est ainsi des opportunités offertes par les télécommunications ainsi que les services financiers numériques pour la réalisation de l’inclusion numérique et financière. La Poste a un rôle déterminant à jouer à cet effet. Au-delà de la Sn La Poste, l’Artp est en train d’accompagner le dynamisme de ce secteur pourvoyeur d’emplois et qui est aussi porté par de jeunes entrepreneurs qui peuvent également aider la Sn La Poste en s’appuyant sur ses infrastructures et son savoir-faire. Nous essayions d’orienter et de canaliser cette énergie positive et génératrice de valeur ajoutée en bien l’encadrant.
En quoi le partage d’infrastructures de télécommunications est-il une question importante pour l’Artp ?
Les infrastructures occupent une place incontournable dans les prestations de télécommunications. Autrement dit, sans infrastructures, il n’y a pas de couverture, encore moins de qualité de service. Or, vous convenez certainement avec moi que le déploiement desdites infrastructures nécessite des investissements lourds. Pour éviter de dupliquer les équipements et installations, le secteur réaliserait beaucoup d’économies en consacrant le partage des infrastructures et leur mutualisation. Ce partage d’infrastructures actives ou passives ne concerne pas que les opérateurs classiques mais également les exploitants d’infrastructures alternatives qui sont des acteurs qui opèrent dans un autre domaine comme activité principale (par exemple l’électricité) et qui disposent d’une infrastructure de télécommunications comme, par exemple, la fibre optique pour initialement leur propre consommation et qui veulent commercialiser l’excédent de capacité. Le partage d’infrastructures concerne aussi le roaming national qui sera bientôt une réalité au Sénégal. C’est d’ailleurs dans ce cadre que le Chef de l’État a pris, récemment, le décret n° 2022-1357 du 7 juillet 2022, relatif à l’interconnexion, au partage d’infrastructures et à l’accès. D’ailleurs l’Artp est à pied d’œuvre pour l’adoption des décisions permettant l’application du décret de façon inclusive.
Le Sénégal est-il prêt pour la 5G ? Quels sont les enjeux liés à son arrivée dans notre pays ?
L’Artp a entamé, pour le compte de l’État du Sénégal, les études et le processus qui permettront d’attribuer, très prochainement, la 5G, aux opérateurs. Cette technologie sera d’un grand apport pour les usages et fournira plus de capacité aux opérateurs pour un coût moindre. À l’heure de l’intelligence artificielle, la 5G viendra à point nommé. Le 5G va révolutionner le secteur ! Elle sera au service de la télémédecine et permettra aux hôpitaux de proposer des consultations à distance, elle sera au service de l’agriculture où le paysan pourra, grâce à des capteurs, surveiller son champ. Elle favorisera la télé éducation, l’avènement des maisons intelligentes, etc. En ce qui nous concerne, le processus de consultation des acteurs a démarré et les opérateurs sont actuellement en phase test. En tout état de cause, les intérêts supérieurs de notre État et des parties prenantes, notamment les usagers et les opérateurs seront placés au premier rang. La 5G permettra de mettre en œuvre davantage la vision du Chef de l’État qui veut faire du numérique un levier de croissance de tous les secteurs de la vie économique. Nous programmons d’attribuer les fréquences 5G en 2023.
Récemment une polémique a éclaté dans la presse dénonçant votre décision de remettre en place la symétrie entre les trois opérateurs. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ? D’abord qu’est-ce que la symétrie implique en termes d’enjeux de régulation et pourquoi l’oppose-t-on à l’asymétrie ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que l’Artp est chargée de veiller au respect de la règlementation sur les secteurs des communications électroniques et des postes. C’est dans ce cadre qu’elle est, en particulier, chargée d’approuver les catalogues d’interconnexion des opérateurs. Typiquement, l’interconnexion permet à un abonné d’un réseau A d’appeler un abonné d’un réseau B et réciproquement. Ainsi, grâce à l’interconnexion, un abonné de Sonatel peut appeler ou envoyer un SMS à un abonné de Free ou Expresso et vice-versa. Cette prestation d’interconnexion est facturée par l’opérateur qui reçoit l’appel. Dans le cas d’espèce, Free reçoit le paiement de Sonatel pour les appels qui sont « terminés » sur son réseau. Inversement, Free rémunère Sonatel lorsqu’un abonné de Free appelle un abonné de Sonatel. Les tarifs de cette prestation sont déterminés, chaque année, par le régulateur. Généralement, ce tarif est identique, quel que soit l’opérateur. De façon ponctuelle, le régulateur peut accorder un bonus, une « asymétrie » tarifaire, pour permettre à un opérateur qui vient d’arriver sur le marché, de se développer. Tel n’est pas le cas au Sénégal, puisque que Sonatel, Free et Expresso sont présents sur le marché du mobile depuis respectivement 26 ans, 24 ans et 14 ans, même si nous avons assisté, au long des années, à des changements d’actionnaires et de marques commerciales. Si, en 2021, l’Artp a pris la décision exceptionnelle et temporaire d’appliquer une asymétrie en faveur des opérateurs Free et Expresso, en tenant compte de motifs particuliers, il s’agit, aujourd’hui, d’un retour à la situation normale.
La question de l’illégitimité des membres du Collège de l’Artp a été soulevée récemment sous le prétexte que leurs décrets de nomination seraient introuvables ou que leur mandat ne serait pas renouvelé ou renouvelable. Qu’en est-il ?
Il s’agit évidemment d’une contre-vérité. D’ailleurs, le moindre effort de recoupement aurait permis d’éviter de telles allégations. À cet égard, il me plait de préciser que les Membres du Collège ont un mandat validé et les décrets sont bien référencés dans toutes les décisions prises par les membres du Collège dans l’exercice de leur fonction.
Pour 2023, quels sont les grands dossiers auxquels s’attaquera l’Artp en priorité ?
Pour l’année 2023, il s’agira naturellement de poursuivre le déroulement du plan stratégique de l’Artp, de consolider et de soutenir les efforts dans la qualité de service. L’année 2023 verra également l’attribution de la 5G au Sénégal. L’Artp s’engagera aussi, pour l’année 2023, à poursuivre la mise en œuvre effective du partage d’infrastructures. Nous nous évertuerons également à donner un contenu à la corégulation dans une approche de compliance. Des projets d’envergure devraient être lancés et des efforts seront fournis également dans la mise à jour des textes sectoriels.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima Thiam
(Source : Le Soleil, 18 janvier 2023)