Abdoul Aziz WANE-Président de SFN : ’’Les non-dits de la TNT au Sénégal...’’
mardi 17 février 2015
Monsieur Abdoul Aziz WANE, vous êtes le président de SFN une association internationale basée à Paris qui a organisé en 2011 à Dakar un séminaire sur la dimension juridique et économique de la télévision numérique terrestre (TNT). Le Sénégal, à l’instar de la plupart des pays africains, va devoir faire passer son audiovisuel de l’analogique au numérique en juin 2015.
Pouvez-vous faire, pour nos lecteurs, une brève présentation de votre association avant que l’on aborde les questions strictement liées à cette transition de la télévision analogique à la télévision numérique dans notre pays ?
Nous avons créé l’association internationale Solidarité Francophone pour le Numérique plus connue sous son acronyme « SFN » le 30 avril 2010 à Paris. SFN regroupe des experts en télécommunications, en informatique et en audiovisuel basés en Europe et en Afrique qui ont le même objectif : accompagner le développement de nos pays respectifs francophones et en particulier ceux d’Afrique en contribuant aux efforts de réduction des fractures numériques et en promouvant les savoirs et savoir-faire traditionnels et contemporains par le biais des Technologies de l’Information et de la Communication mais aussi la diversité linguistique et culturelle dans ce domaine.
Vous l’aurez sans doute noté, la création de SFN s’est faite à un moment où pour la plupart des pays francophones entraient dans une période charnière de la transition de l’analogique vers le numérique décidée par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). Dans ce contexte particulier, nous avons décidé de réaliser une série de séminaires d’information, de sensibilisation et de formation sur le passage au tout numérique du secteur de l’audiovisuel pour aider ces pays francophones et en particulier ceux d’Afrique à réaliser l’objectif d’achèvement de la transition d’ici 2015.
A cet égard, je dois dire, pour m’en réjouir, que nous avons tout de suite bénéficié du soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OiF) qui, comme vous le savez sans doute, fait beaucoup d’efforts pour la réussite de cette transition dans le monde francophone. C’est donc ainsi qu’avec le concours des comités nationaux mis en place à cette fin dans chaque pays, nous avons débuté nos actions en réalisant le premier séminaire pour le passage au numérique au Sénégal que nous avons choisi comme pays pilote et plus tard en Guinée-Conakry et à Haïti.
Il faut dire qu’en plus des membres de SFN, qui pour l’essentiel ont contribué à l’avènement de cette transition en France en travaillant au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, le régulateur français qui a piloté les opérations de passage au tout numérique, et chez les principaux opérateurs de diffusion , notre association dispose d’un important réseau de relations parmi les plus grands acteurs du passage au tout numérique du secteur de l’audiovisuel qui ne manquent pas de nous inviter à l’occasion de conférences internationales sur ce thème. C’est donc un domaine que, d’expérience, nous maîtrisons parfaitement.
A propos de la TNT, on parle d’avancée technologique et même de révolution. En quoi la TNT va-t-elle changer la vie des sénégalais ?
La télévision numérique terrestre, c’est avant tout un procédé technique, un mode de transmission de l’image et du son jusqu’aux récepteurs de télévision ; c’est le passage d’une norme de diffusion analogique à une norme de diffusion numérique. La TNT n’est, du reste, pas une contrainte ou une obligation, car rien n’est imposé. Il n’en demeure pas moins, que le Sénégal n’a pas d’autre choix que de passer à la TNT qu’il faut considérer comme une formidable offre de nouveaux horizons pour la population.
En effet la TNT nous amène deux avancées majeures, la première, nous aurons plus de chaînes gratuites et deuxième avantage, l’image et le son seront de meilleure qualité sans changement majeur dans la mesure où le signal numérique est reçu par les mêmes antennes que l’analogique. L’autre avantage et non des moindres est que nous allons utiliser moins de fréquences pour la télévision et ces fréquences rendues disponibles seront utilisées pour autre chose comme des nouveaux services audiovisuels, de nouvelles chaînes, des services vidéo à la demande ou l’internet haut débit. Ces fréquences hertziennes libérées par l’extinction du signal télévisuel analogique en juin 2015 représentent ce qu’on appelle le dividende numérique dont l’un des usages les plus pertinents est de couvrir et d’aménager notre pays en très haut débit mobile en raison de leurs excellentes qualités de propagation.
Disposez-vous d’éléments d’appréciation sur le processus de migration au Sénégal ?
Au Sénégal, la télévision numérique terrestre se déploiera par phases successives et c’est l’une des rares informations dont je dispose en tant qu’expert. Je me demande donc quel peut être le niveau d’information du sénégalais lambda. Cette information selon laquelle le déploiement se fera en phases successives, région par région ou bloc de régions est certes intéressante mais pas suffisante dans la mesure où à 5 mois de ce passage un calendrier prévisionnel ou définitif de mise en service des nouveaux émetteurs lié à celui de l’extinction de la diffusion analogique devrait être adopté et mis à la connaissance des populations. La presse en général a un très grand rôle à jouer dans tout le processus. Ce schéma national d’arrêt de la télévision analogique devrait définir un plan global avec un taux de couverture précis, ceci est appelé dans le jargon « plan d’extinction ». Tous les émetteurs doivent être allumés et en état de fonctionner le jour même du passage pour une ville ou région donnée afin que la population puisse retrouver ses programmes favoris et l’ensemble de ses opérations doit se dérouler en conformité avec le planning qui doit être diffusé au grand public. Pour les zones qui ne seraient pas couvertes par la TNT au terme du passage à la télévision tout numérique, l’Etat doit prévoir une alternative d’offre gratuite par satellite sur l’ensemble du territoire. Par contre, et en tout état de cause, toute brève gêne occasionnée le jour du passage au numérique doit être mise en regard du progrès considérable que constitue le basculement à la TNT.
Seriez-vous en train de dire que la population n’est pas suffisamment informée des opérations de passage à la TNT et des conséquences que cela implique ?
La TNT est avant tout une affaire d’usager de télévision et de fracture numérique et pas seulement l’affaire des télévisions comme le pensent certains experts. Cet usager doit être au cœur de la stratégie. Nous innovons mais pas par l’usage, donc la population doit être impliquée et informée à temps.
L’essentiel de l’activité du Comité national de pilotage de la transition de l’audiovisuel analogique au numérique (CONTAN) en charge de ce projet national est tout particulièrement de veiller pour qu’il n’y ait pas d’interruption de services dommageables pour cette population, interruption qui peut être due au fait que l’usager de la télévision, donc vous et moi, soit mal ou insuffisamment informé des conséquences du passage au numérique.
En effet, si l’usager dispose d’un téléviseur datant d’avant 1981, il lui faut en racheter un nouveau car il n’existe pas de prise péritel pour brancher l’adaptateur TNT ; mais si sa télé été fabriquée entre 1981 et 2006, il devra s’équiper d’un adaptateur TNT, sachant qu’il lui faudra, si son foyer dispose de plusieurs téléviseurs, un adaptateur par poste de télévision. Par contre, si son téléviseur a été fabriqué après 2006, l’usager n’aura pas besoin d’adaptateur car celui-ci est déjà conçu pour recevoir la TNT. Dans tous les cas, une recherche et mémorisation des chaînes sera nécessaire et/ou une réorientation de l’antenne râteau vers l’émetteur le mieux reçu.
Comment remédier à ce manque d’information et que se passera t-il après le 17 juin 2015 pour les usagers ?
A l’aube de la date butoir, c’est-à-dire le 17 juin 2015, quand le pays doit quitter le système de la télévision analogique au profit du système numérique, deux cas de figures sont possibles :
- L’usager reçoit clairement les programmes avec une meilleure qualité d’image et de son sur l’ensemble du territoire national. C’est le scénario qu’on souhaite.
- Où alors, l’usager ne reçoit pas du tout de signal et reste avec un écran noirs pour des raisons diverses. C’est le pire scénario : nous ne le souhaitons pas. A mon avis, une mauvaise gestion de ce passage à la télévision numérique va écorner l’image de ce gouvernement. Les difficultés pour gérer ce projet seront différentes d’une région à une autre, les responsabilités doivent être clairement identifiées à la base.
Il faut donc avant tout mettre en place un important dispositif d’assistance technique, d’information en direction des collectivités territoriales, des associations, des médias, des professionnels et du grand public. Cette instance sera en charge de communiquer et d’accompagner, c’est-à-dire venir en aide à la population qui doit avoir un accès total à l’information. Cette action donnerait une nouvelle visibilité au CONTAN et à l’Etat et facilitera leur travail au quotidien. Le CONTAN devrait être capable de répondre à des questions classiques et capitales concernant la TNT : Qui est concerné ? A quoi sert concrètement cette TNT et qu’est-ce que la population y gagne au quotidien ? Comment ça marche ? Combien ça va coûter à la population individuellement et collectivement ? L’information, la sensibilisation et l’accompagnement des usagers est quelque chose de primordial. Sur le plan opérationnel, un accompagnement spécifique de la population, notamment pour la recherche et la mémorisation des chaînes, sera indispensable.
Le Ministère de la Communication, le CONTAN, l’ARTP et EXCAF doivent veiller à ce que plusieurs régions avec un nombre important d’émetteurs à modifier ne basculent ensemble au tout numérique. Il faut épargner à l’usager de bidouiller sa télécommande pensant avoir un problème sur sa propre installation, alors que tout simplement l’opérateur a coupé le signal sans qu’il le sache. Les Sénégalais doivent avoir accès à cette information concernant le basculement au tout numérique de leur localité. Il est donc nécessaire de mettre à leur disposition des supports d’information interposés y compris en langues nationales.
De même, pour de nombreux foyers, l’achat des nouveaux matériels va s’imposer et l’État devra apporter un soutien financier pour les plus modestes et, à cet égard, je dois dire qu’à ce jour je n’ai pas d’information, ni sur Internet ni via d’autres supports, sur les aides techniques et financières mises à disposition de la population.
Un facteur clé de succès serait de se faire accompagner par un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMOA) qui aura pour rôle principal de minimiser en amont les risques de disfonctionnement du projet en mettant en place une gouvernance projet avec une forte réactivité, de réduire les risques de retard, de surcoût et de non couverture d’une partie de la population.Avec la TNT, il faut être transparent et communiquer avec son peuple car comme dit l’adage, les plus belles réussites sont celles qu’on partage et, je le répète car c’est indispensable, tous les médias du pays doivent dès à présent se mobiliser pour, de manière régulière, sensibiliser les sénégalais sur les enjeux et la nécessité d’être prêts le moment venu.
Le Comité national de pilotage de la Transition de l’Audiovisuel analogique au Numérique a lancé en janvier 2014 un appel à candidature pour choisir les opérateurs pour la mise en place d’une infrastructure convergente en l’occurrence de TNT, LTE – 4G et de fibre optique au Sénégal. Quel est votre ressenti par rapport à cet appel à candidature qui a fait couler beaucoup d’encre ?
J’avoue que, comme beaucoup de sénégalais, cet appel m’a choqué de par sa dimension, mais également de par les délais qui étaient imposés pour y répondre. D’un autre côté, j’ai suivi, depuis la France les interventions des uns et des autres à la télévision et dans la presse et là aussi je dois avouer que j’ai été très inquiet, je le suis toujours d’ailleurs, du comportement de grands opérateurs de télévision qui n’ont fait que freiner l’évolution de la TNT pour des raisons personnelles de concurrence avec d’autres opérateurs. Concernant la TNT, je pense qu’il ne faut pas faire dans l’individualisme, il faut avoir une vision plus constructive dans l’intérêt de la nation. La TNT est un projet national et non celui d’une ou de plusieurs télévisions Par ailleurs, je félicite le CONTAN qui a su garantir un financement par l’opérateur. Cela est au cœur de la réussite du projet TNT dans un pays comme le nôtre, à faibles revenus, et constitue un aspect essentiel des efforts fournis par le gouvernement.
(Source : Social Net Link, 17 février 2015)