Après l’accession de Macky Sall à la tête du pays en 2012, Thierno Alassane Sall est nommé directeur de l’autorité de régulation des télécommunications et es Postes (ARTP). Dès sa prise de fonction le nouveau DG découvre à sa grande surprise une nébuleuse autour de deux immeubles qui devait être construits pour « améliorer les conditions de travail des agents ».
Dans le chapitre VIII de ce brûlot intitulé « Le protocole de l’Elysée : confidences d’un ancien ministre sénégalais du pétrole », TAS narre toute sa surprise et son désolation dans cette affaire.
« La visite que j’effectuai sur le site des immeubles dans le quartier de Ouakam, dans un domaine qui, il n’y a guère longtemps, faisait partie du périmètre de l’aéroport, fut ren versante. En lieu et place des deux immeubles annoncés, des terrains vagues et un semblant de début de fondations de l’un des deux bâtiments, sans aucune activité visible aux alentours ! Bienvenue dans les bureaux censés s améliorer considérablement le travail des agents ! Sur le coup j’ai imaginé n’avoir pas bien compris les paroles de mon prédécesseur au moment de la passation de service et j’ai interrogé à ce sujet certains des directeurs et responsables qui m ?accompagnaient. Aucun d’entre eux ne paraissait être plus informé que moi.
C’est sur ces terrains vagues, face à un chantier à l’arrêt, sur lequel personne parmi la délégation qui m ?accompagnait ne pouvait (ou ne voulait) me fournir des expplications, que j’ai éprouvé une colère froide et résolue. Car autant pour le contrat ARTP/MTL, il a fallu un peu de temps pour se faire une idée de la machination monstrueuse, autant ce terrain nu, à l’exception de fondations abandonnées, constituait un témoignage outrageant de la politique de la table rase que pratiqua allègrement Wade. Je n’aurais de répit qu’en démontant l’écheveau de cette arnaque.
A la genèse de cet autre scandale en effet, le mauvais génie par qui la Nation sénégalaise, dans un instant de faiblesse, s’est laissé séduire pour paraphraser Marx. Le modus operandi nous est, à ce point du récit, familier.
A nouveau le point de départ consiste en un décret, car Wade avait découvert ce qu’il pouvait faire avec un décret et il trouvait que c’était décidément facile et bénéfique pour lui et ses ouailles, quoiqu’il en coûtât à la multitude pauvre et affamée qui formait l’essentiel le peuple, Le Président Wade avait en personne négocié le prix à payer par la Sonatel pour l’extension de sa licence à l’exploitation des services de la 3G.
La somme finalement convenue s’élevait à 3,5 milliards. La Sonatel, qui avait lancé la 3G en guise de test à l’occasion du sommet de l’Organisation de conférence islamique, défendait le principe de la neutralité technologique pour poursuivre le déploiement national sans bourse délier.
Wade ne l’entendait pas de cette oreille et exerça des pressions fortes sur la direction générale de la Sonatel. Le compromis trouvé, Wade en personne prescrit l’entité à l’ordre de laquelle le chèque devait être libelle. Quelle impérieuse urgence tenaillait Wade pour conduire de son chef des négociations à ce niveau et avec ténacité ? Les priorités font légion au Sénégal ; partout où se pose le regard, partout où se pose le pied, des urgences insoutenables demandent des solutions.
L’imagination féconde de Wade avait trouvé un besoin impérieux : doter l’ARTP (décidé ment ! d’un siège. N’étant pas Président à faire les choses à moitié, Wade nomme l’expert immobilier pour déterminer le coût de l’immeuble, le promoteur pour le construire et les délais de livraison. Il ficela le contrat entre tout ce beau monde dans les termes d’un’ décret N° 2011648 du 23 mai 2011.
Ce décret, qui est une aberration juridique, comporte trois articles. Il ne m ?a pas été possible, en l’état actuel de mes recherches, d’en retrouver la trace dans le site du Journal officiel. Aussi pour la bonne compréhension du lecteur je reproduis in extenso les termes de ces trois articles, en conservant les coquilles (qui fleurissent dans les textes législatifs et réglementaires établis sous le magistère de l’éminent juriste Wade assisté d’un premier ministre avocat de son état comme nombre de ses ministres).
A cet égard, le titre du décret est symptomatique du syndrome aigu qui affecte, en cette période, Wade et ses compagnons. Cela ne s’invente pas : « Décret s’invente affection de ressources financières issues de la vente de licence par l’Etat« . Cela sonne comme un aveu : l’affection en question ressemble étrange ment à une cleptomanie aiguë. »
« Article premier : Est autorisé l’achat par l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) d’un immeuble devant servir de siège à la direction de l’ARTP qui sera finance par les ressources issues de la vente de licence 3G, pour un montant maximum trois milliards cinq cents millions de francs CFA 3500000000 FCA -sic-), selon la valeur arrêtée par le rapport de M Amadou Kane, Expert immobilier en date du 9 mai 2011.
Ledit immeuble fait partie d’un programme à l’initiative duPromoteur Touba Real Estate (le vendeur) qui s’engage à le livrée dans les six (6) mois à compter de la date de signature du contrat avec l’ARTP.
Article 2 : le Directeur général de l’ARTP est autorisé à prélever directement le montant alloué et à assurer les versements au promoteur Touba Real Estate selon l’échéancier convenu d’accord partie.
Article 3 : Le Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances et le Directeur Général de l’ARTP sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret qui sera publié au Journal Officiel. »
Mouhamadou Sissoko
(Source : Sénégal 7, 21 août 2020)