Quand, le 1er janvier dans l’après-midi, j’ai ouvert le site portail du gouvernement (www.gouv.sn) en quête du texte intégral du discours de nouvel an du président de la république, je me suis rendu compte, avec étonnement, qu’il n’y figurait pas. J’ai d’abord cherché dans la rubrique « Actualités » au lien « Quoi de neuf ». La dernière « nouveauté » disponible datait d’août 2003.
Apparemment, depuis quatre mois, il n’y avait rien eu de nouveau digne de figurer sur le site gouvernemental puisque c’est le communiqué du remaniement ministériel du 28 août 2003 qui en constituait la dernière actualité… J’ai tout de même poursuivi mes recherches, cette fois dans la rubrique « Président de la république » en lançant un ouf à la vue du lien « les discours du président de la République ». J’ai cliqué sur ce lien et que croyez-vous qu’il arrivât ? Le dernier discours de cette rubrique datait du 9 avril 2003 - ça fait huit mois - et concernait la conférence de Me Abdoulaye Wade à Sciences Po de Paris sur « le Nepad entre doute et espoir »… Même son intervention à Genève sur la solidarité numérique n’avait pas l’honneur d’y être.
A ce stade, on se pose quand même des questions. Si l’on n’arrive pas à alimenter un simple site portail, en mettant à la disposition du public les dernières informations, les derniers discours, les derniers décrets, les derniers numéros du « Quotidien de la République » publié par la présidence, etc., pourra-t-on vraiment tirer parti du futur intranet gouvernemental dont le président de la République a vanté, dans son discours de nouvel an, les bienfaits futurs pour l’action gouvernementale et dont les travaux de génie civil ont débuté cette semaine ? (Voir encadré). Passons d’ailleurs sur l’histoire de cet intranet, devenu une Arlésienne puisque son concept originel, né sous le régime précédent (le fameux Réseau administratif de communication voix et données - RACVD)), date bien d’une quinzaine d’années. Plusieurs fois annoncé par l’ancien et le nouveau régimes, il n’a toujours pas vu le jour. On espère que cette fois-ci sera la bonne, le président de la République ayant annoncé que « ses réalisations seront en parties visibles dès le premier semestre de 2004 ». En fait, dès la fin du premier trimestre de 2004, ou au début du deuxième trimestre, les premières connexions devraient se concrétiser car les travaux vont aller relativement vite, l’entreprise chargée de les effectuer ayant décidé, en accord avec les maîtres d’œuvre, notamment la Direction informatique de l’Etat, de travailler essentiellement de nuit.
Cet e-gouvernement, a dit le président, l’Etat va « moderniser l’appareil administratif (…), l’installer au cœur des Nouvelles technologies de l’information qui exigent de la vitesse et de la précision dans l’exécution des tâches et l’interaction des structures ». Il va aussi « offrir aux usagers, personnes physiques ou morales, un bouquet de services sur toute l’étendue du territoire national et, au-delà, avec nos représentations diplomatiques, et améliorer l’efficacité de l’administration en réduisant considérablement les détails de traitement des dossiers et le coût des communications ».
Le questionnement qui pointe ici, c’est l’effectivité de l’usage productif de cette réalisation qui s’annonce. Car, malheureusement, au Sénégal, l’informatisation ne permet pas toujours - alors que c’est sa finalité - d’améliorer le travail, de produire mieux, davantage et en réduisant les délais. Un discours du président qui n’est pas mis en ligne dans le site gouvernemental dont l’une des rubriques est censée stocker ses discours, on ne peut pas dire que c’est chose normale. Même si l’Agence de presse sénégalaise a publié dans son site l’intégralité du texte le 31 décembre dès à 22h34, sa présence sur le site officiel du gouvernement nous paraissait nécessaire pour un accès encore plus large. Il s’agit pourtant là d’actes que l’on peut faire maintenant et tout de suite, sans attendre, avec la technologie que l’on a. Et si on ne les fait pas, difficile de croire que le projet d’intranet gouvernemental va subitement changer le cours des choses dans le sens de la qualité du service de l’Etat. Parce que, tout simplement, les mêmes habitudes, entre autres celle de pas actualiser les contenus, risquent de se poursuivre en dépit de la sophistication du futur intranet.
L’Internet (et l’intranet, qui est un internet réduit), c’est au fond la rencontre de deux réseaux. D’une part, celui constitué par les ordinateurs, les modems, les lignes téléphoniques, les fils - et les logiciels qui les gèrent - et, par ailleurs, celui formé par les hommes et les femmes qui, derrière, font fonctionner tout cela en communiquant effectivement, en échangeant des informations, en créant des contenus, en mettant leurs données à jour, en créant des services, en répondant aux sollicitations, en traitant les dossiers avec diligence, etc., tout en profitant de la rapidité et de l’ubiquité du réseau. Si l’un des réseaux ne fonctionne pas (le réseau technique ou le réseau humain), il n’y aura ni intranet, ni e-gouvernement efficaces. Il faudra y penser dès maintenant.
Cheikh Alioune Jaw
(Source : Le Nouvel horizon, 9 décembre 2003)