Quand Partech Ventures a publié début 2018 son étude « sur les investissements en capital dont ont bénéficié en 2017 les startups africaines actives dans le secteur des nouvelles technologies », il révèle à juste titre que le secteur reste largement dominé par les anglophones, Afrique du Sud (167 millions $), Kenya (147 millions $) et Nigeria (114 millions $) en tête. Puis viennent l’Egypte (37), le Rwanda (36,7), le Ghana (20), l’Ouganda (16), et trois pays africains francophones ferment le top 10 : le Sénégal (8e avec 10,7 millions de dollars), le Maroc (3,9) et le Cameroun (2,7).
Exit donc de la Tunisie du classement, avec seulement 1,5 million $ levé en 2017. Pour qui connaît la Tunisie, et son écosystème Hightech, il doit y avoir une erreur quelque part. Premier pays arabe et africain à se connecter à Internet en 1991, la Tunisie est l’un des principaux points d’entrée des câbles sous-marins internationaux (4) vers l’Afrique.
L’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) est la seule en Afrique du Nord à être dotée d’un point d’échange internet (TunIXP) et est depuis 2016 le premier centre de formation certifiante IPV6 accréditée par l’AFRINIC (l’African Network Information Center) et gère les serveurs du géant Akamai installés dans le pays.
En Tunisie, les TIC représentent, 7,2 % du PIB autant que le tourisme, 7,5 % de taux de croissance, 100 000 emplois (création de 7500 postes/an), 1 200 entreprises TIC implantées. D’autant que le pays a depuis son indépendance mis en place une des politiques les plus volontaristes de formation scientifique et technique, qui produit environ 10 000 ingénieurs par an pour une population de 11,6 millions, soit autant que la France proportionnellement, pour une population de 67 millions qui forme environ 32000 ingénieurs an.
On n’y dénombre pas moins de 590 laboratoires et d’unités de recherche en 2015, selon le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, la Tunisie affiche des acquis solides en matière de recherche et développement. Et le pays arbore fièrement le chiffre de 1 803 chercheurs par million d’habitants en 2014. Ce qui la place à la tête de la région MENA e et troisième en Afrique pour le nombre de publications scientifiques sur la période 1996-2015, selon la Banque Mondiale.
Alors comment avec un tel environnement et de telles capacités, la Tunisie n’est point reconnue comme un grand pôle Hightech africain au même titre que l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigéria, le Ghana, le Rwanda, l’Egypte, le Maroc ou encore le Sénégal. Plus de 10 millions $ en 2017 pour les startups tunisiennes.
Faut-il investir 10 millions $ pour entrer dans le top 10 et être considéré comme un écosystème attractif, innovant pour les investisseurs ? On est en droit de se poser la question…
C’est d’autant plus surprenant que le pays en 2018 collectionne les titres, reconnu pays africain le plus innovant (Bloomberg), la première place pour la qualité de son environnement entrepreneurial (Global Entrepreneurship Index) et dispose de la meilleure connexion internet mobile du continent (Speedtest Global Index). La Tunisie regorge de talents inexploités, c’est ce qu’a révélé Forbes dans un article publié le 11 janvier 2018.
Ce manque de visibilité, est avant tout dû à un déficit de communication pas aux compétences, et quand on vit au XXIème siècle, on se doit de reconnaître l’enjeu politique de la communication. La communication au même titre que l’information, la culture, la connaissance sont les industries d’aujourd’hui. Or dans nos sociétés modernes affaiblies par les crises économiques, les tensions et le chômage, le succès est une culture. Il se cultive et devient un mode de communication diffusant une ambition et une attractivité positive pour l’image du pays, telle qu’en Estonie, Jordanie, au Rwanda, au Chili ou à Singapour.
Fuite massive des cerveaux Alors quand le Gouvernement tunisien met en place le premier Startup Act africain & arabe pour encadrer, accompagner le développement de l’écosystème startup tunisien, pour aider la jeunesse force vive du pays et contrer l’exode massif des talents (l’OCDE évoque 95.000 compétences tunisiennes qui ont choisi de quitter leur pays depuis la révolution), il démontre sa volonté, son ambition et a su communiquer sur son initiative. Le pays devient un exemple, un modèle en Afrique, et c’est parce que la Tunisie est « hub » de talents, de savoirs, d’éducation, de recherche et d’innovation à l’échelle africaine, qu’elle a été choisie par l’Alliance Smart Africa pour mener la réflexion sur le développement de l’écosystème startup africain.
Qu’en est-il alors réellement de cet écosystème ? Selon le site ILBOURSA en Tunisie, le financement des startups tunisiennes s’est élevé en 2017 à plus de 10,5 millions de dollars, loin des 1,5 de Partech Ventures.
La prime revient à BARAC (Fintech- Big Data) avec 3,7 $ levé notamment auprès de la Barclays, qui analyse en temps réel les mégadonnées pour mieux protéger les systèmes informatiques, et a été la seule à détecter le virus Wannacry. Puis vient NEXTPROTEIN (Agritech) avec 1,7 $ qui élève des larves de mouches de soldats noires qu’elle transforme en précieux composants pour l’aquaculture et animaux domestiques, ainsi que des engrais agricoles, parmi les investisseurs on compte le fond Kima Ventures de Xavier NIEL, et Jérôme LECAT, investisseur de la Silicon Valley.
EXPENSYA (Software) spécialisée dans la gestion intelligente des frais professionnels a levé 1,2 million. Sa solution est aujourd’hui présente et utilisée dans 30 pays en Europe de l’Ouest, aux États-Unis, au Brésil, en Afrique du Sud, en Tunisie, à Singapour, au Maroc, au Japon, en Chine et à Hong Kong. Puis se succèdent, POLYSMART (jeux vidéo) 0,6, DATAVORA (Big Data) 0,48, ILBOURSA (Média) 0,4, ROAMSMART (Télécom) 0,4, SYMMETRYK (IoT) 0,24, PAYPOS (Software) 0,2 METHANIA, 0,2 (Industrie créative).
Au total, l’écosystème en 2017 a connu 25 deals, sans compter les nombreuses startups ou les investisseurs qui préfèrent ne pas communiquer, et qui placerait le pays autour des 18 millions $ d’investissement dans les startups. 500 startups et 20 incubateurs L’écosystème c’est aussi, une association Tunisian Startups, qui regroupe environ 500 startups, des incubateurs/accélérateurs (plus de 20) très performants, dont IntilaQ, Flat6Labs, des Universités de renom, des fonds d’investissement reconnu à l’échelle du continent tel qu’Africinvest.
Il est à signaler que 60% des startups agissent à l’exportation, 20% d’entre elles s’orientent vers les marchés européens, 21% vers les marchés africains et 14% vers les marchés du Moyen-Orient et seulement 40% d’entre elles ne vendent pas leurs produits en ligne.
Ces startups œuvrant dans des domaines fort variés, participent à leur manière à la « success story » tunisienne, que nous connaissons mais que le monde ne connaît pas hélas.
Comme on le voit, la Tunisie ne manque pas de success story et se positionne également dans des secteurs clés tels que la Fintech (SWIVER, PAYPOS, ULTIMIUM, VNEURON, HADRUM, KAOUN, MITIGAN…), de l’intelligence artificielle, de la Blockchain (ELECTRIFY NETWORK, DIGITUS, l’ouverture du DAR BLOCKCHAIN, premier incubateur Blockchain du continent et l’Africa Blockchain Summit organisé en Tunisie en mai 2018. De même en Tunisie, l’entrepreneuriat des femmes a le vent en poupe. Plusieurs startups
sont dirigées par des femmes SEABEX et iFARMING, (agritech). CARPET PLUS, AUCTION IT 4 HER, SHE SHARES, HAND AND CRAFTS et AHMINI sont les premières startups tunisiennes lancées dans le cadre de l’initiative lancée par la Banque mondiale “EmpowerHer”. Outre le manque de communication et de visibilité à l’international, l’écosystème souffre également de la confusion qui s’exerce avec « l’offshoring », la sous-traitance que le plan TUNISIE DIGITALE 2020 encourage afin d’attirer les investissements et créer des emplois dans le secteur des TIC.
Au travers du programme « SMART TUNISIA » composante du Plan, le Gouvernement communique aussi bien sur des PME/PMI établies que sur les startups, et c’est cette confusion qui est nuisible.
Au même titre que SMART TUNISIA, les startups devraient avoir leur propre programme. Un autre élément est le positionnement de la quasi-totalité des startups tunisiennes sur la niche B2B qui s’explique historiquement, par l’ancrage à l’offshoring, c’est une solution de facilité et de réussite rapide dans un petit marché que de se tourner à l’international, et obtenir un financement plus « accessible ».
Certes les startups tunisiennes ne bénéficieront point de l’exposition de leurs concurrentes africaines sur le B2C, il sera difficile de faire émerger une Licorne, mais elles créent plus de valeur, ont une présence à l’international qu’aucun autres pays africains, elles ont acquis des compétences métiers, de la flexibilité qui repoussent la concurrence des sociétés IT qui préfèrent les racheter.
Ainsi, VENTE-PRIVEE vient d’annoncer l’acquisition de DACO, startup franco-tunisienne qui met l’intelligence artificielle au service des stratégies concurrentielles des marques.
(source : CIO Mag, 15 janvier 2019)