À Abidjan, Orange CI et Sonatel, deux caïmans dans la même mare ?
jeudi 12 janvier 2023
Les filiales d’Orange représentent un peu moins de la moitié de la capitalisation de la BRVM. Auront–elles assez de place ? L’avis du marché.
Après sa cotation le 30 décembre à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), à Abidjan, Orange Côte d’Ivoire (Orange CI) représente 21% de la capitalisation du marché des actions, avec une valorisation de 1562 milliards de F CFA, le 06 janvier. La filiale ivoirienne du groupe français devance d’une courte tête sa consœur sénégalaise Sonatel (20 %, 1 500 milliards de F CFA de valorisation), longtemps leader du marché rejoint en 1998. Il est à noter qu’Orange Cl chapeaute également les filiales au Burkina Faso et au Liberia – et Sonatel, celles du Mali, de Guinée, de Guinée- Bissau et de Sierra Leone. En 2021, Orange Cla enregistré un chiffre d’affaires de 965 milliards de F CFA, contre 1 335 milliards pour Sonatel. Orange Côte d’Ivoire–Sénégal, le moteur à deux temps du géant français en Afrique de l’Ouest .
Les deux poids lourds subsahariens d’Orange dominent sans appel le marché des actions de la place régionale de l’Uemoa, et en particulier celui des télécoms. Le burkinabè Onatel (Groupe Maroc Télécom) représente moins de 3 %. Les autres groupes s’approchant – de loin – d’une telle configuration ne sont pas à la hauteur.
Ecobank, dont le holding togolais et la filiale ivoirienne sont cotés à Abidjan, se situe autour de 8 % du marché, contre 6 % pour les six filiales régionales de Bank of Africa.
Un jeu à somme nulle ?
Faut–il s’inquiéter de cette domination, les deux filiales se disputant les préférences du même pool d’investisseurs, sur un marché encore peu liquide, ultrasensible aux rumeurs et hyper attentif aux dividendes versés ? Autrement dit : faut–il craindre un jeu à somme nulle ?
<<< Il est vrai qu’avec l’introduction d’Orange CI, les gestionnaires de portefeuilles auront désormais à scinder en trois l’enveloppe d’investissement destinée à la télécommunication »>, reconnaît Franck Olivier Diagou, directeur général de NSIA Asset Management, gestionnaire d’actifs basé à Abidjan. De même, « l’exposition souhaitée sur la marque Orange pourrait induire une réaffectation des ressources précédemment investies dans Sonatel à Orange CI »>, poursuit le manager ivoirien.
Pour autant, s’empresse–t–il d’ajouter, << la renommée d’Orange, ses performances passées et les anticipations présentées ont plutôt conduit les investisseurs à accroître l’enveloppe dévolue au secteur des télécoms au détriment d’autres secteurs moins rentables sur le marché – avec un effet nul ou très marginal sur le titre Sonatel, dont les performances économiques restent bonnes >>. << La BRVM est un marché moins liquide que d’autres. L’entrée de Orange CI va attirer plus d’investisseurs étrangers sans pour autant créer de la concurrence avec Sonatel qui a un rendement moyen de 9% contre 7,5 % pour Orange CI », décrypte pour Jeune Afrique Marius Achi, économiste principal de l’agence Bloomfield Investment. Cette dernière estime le ratio cours sur bénéfices du nouvel entrant à 10,14 en ce début de mois, contre 6 pour Sonatel.
Un secteur important et attractif
Pour le management de la BRVM, la place prépondérante d’Orange Cl et de Sonatel n’est nullement un handicap, ni même une anomalie. << La forte présence du secteur des télécoms sur les Bourses émergentes et africaines n’est pas un phénomène nouveau, comme en témoigne la part de Maroc Télécom à Casablanca [16%], de Safaricom à Nairobi [49,82 %] et de MTN Ghana à Accra [16,74 %] », ont–ils répondu à Jeune Afrique.
Pour la BRVM, cette situation tient au fait que les sociétés des télécoms « évoluent dans un secteur important pour les économies et attractif pour les investisseurs >>.
<< Orange Cl et Sonatel ont une meilleure capitalisation du fait de leurs activités centrales qui sont d’un intérêt central pour les populations. Cela va donc attirer davantage d’investisseurs, ce qui va accroître in fine la liquidité du marché », ajoute Marius Achi de Bloomfield. Orange, pour sa part, a salué « < la plus importante introduction jamais réalisée sur le marché financier régional ». Le groupe note qu’à travers cette introduction en Bourse, qu’il a << accompagnée, l’État ivoirien a exprimé << sa volonté d’accroître l’actionnariat et l’épargne populaires, de promouvoir l’investissement privé et de contribuer au développement du marché boursier régional ».
Orange Côte d’Ivoire : pourquoi l’État vend ses parts
Dans l’entourage de l’opérateur, on souligne le fait que l’offre publique de vente a été bouclée le 7 décembre, soit douze jours avant la date prévue, preuve de l’appétit du marché pour le titre. Il est estimé que 60 % des actions ont été souscrites par des investisseurs institutionnels, contre 40% par des personnes physiques–une décote avait été accordée aux salariés d’Orange Côte d’Ivoire. << Au regard des profils de certains investisseurs, on peut penser que cette cotation a attiré de nouveaux investisseurs à la BRVM [par rapport à ceux de Sonatel], que ce soient des institutionnels ou des personnes physiques », complète notre source.
Analyse et valorisation
Une lecture qui rejoint celle de la BRVM, dont les dirigeants rappellent que Sonatel et Orange ont été cotés à des stades différents de leur développement : la première durant une phase de « redimensionnement de ses activités et bien avant le boom technologique », la seconde dans sa phase de « maturité ».
C’est un pari sur l’avenir de la société
<< Par ailleurs, la valorisation tient davantage compte des perspectives de développement que du passé. À ce stade, au regard des performances des deux entreprises, on ne peut donc pas affirmer que les investisseurs se rétracteront à l’égard d’une société au profit de l’autre. Pour preuve, les rendements en dividendes de ces dernières sont pratiquement semblables : 8,77 % pour Sonatel et 8,38 % pour Orange CI », complètent les représentants de la Bourse.
Même analyse chez Franck Diagou, qui rappelle que la sélection d’un titre et du montant à investir doivent résulter d’un processus rigoureux, en fonction du profil risque et des objectifs du portefeuille considéré. << C’est un pari sur l’avenir de la société. Il doit donc reposer sur l’anticipation de ses résultats futurs, en analysant l’écosystème de l’entreprise, sa stratégie marketing et commerciale, ainsi que ses choix de développement. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut juger du niveau de rentabilité à espérer et décider d’investir ou pas », explique le patron de NSIA Asset Management.
D’après ce dernier, une option intermédiaire pour << rentabiliser paisiblement » son épargne tout en profitant du potentiel du marché des actions consisterait à investir à travers des fonds communs de placement proposés par les sociétés de gestion accréditées par le régulateur régional.
Volatilité importée ?
Interrogés sur les liens avec la maison mère à Paris et la possibilité que des évolutions de marché à Euronext par exemple – extérieures aux dynamiques de la sous–région accroissent la volatilité des titres Orange Cl et Sonatel, et partant, celle de la BRVM, les représentants de la Bourse ouest–africaine se veulent rassurants.
<< Sonatel et Orange CI ne sont pas des entreprises étrangères cotées à la BRVM. Elles sont implantées localement et y ont de forts ancrages », insistent–ils. Selon ces derniers, les investisseurs devront << ajuster leurs opinions en interprétant l’appartenance au groupe par rapport aux performances intrinsèques des sociétés », en tenant compte du contexte macroéconomique favorable, de la forte pénétration des mobiles et des TIC, du développement de l’inclusion financière, du mobile money et des fintechs. << À ce stade, il n’y a pas de risque que le comportement du groupe Orange en France
influence la vie boursière des filiales Sonatel et Orange Cl », concluent–ils.
(Source : Continent Média, 12 janvier 2023)