4G au Sénégal : cafouillage au sommet de l’Etat, le régulateur au banc des accusés
mardi 17 février 2015
Alors qu’elle n’est pas encore officiellement lancée au Sénégal, la 4G nage déjà en eaux troubles du fait d’énormes erreurs stratégiques de la part de l’Etat et du régulateur des télécoms l’ARTP.
Censé se terminer le 31 décembre 2014, la phase test de la 4G chez les opérateurs est prolongée jusqu’au 31 mars 2015. Selon un article publié par Le Quotidien, la décision de prolonger cette phase test viendrait du Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dionne. Une décision qui fait fi de tous les rapports hiérarchiques, dans la mesure où l’ARTP est une structure autonome. Selon Le Quotidien, le courrier du Premier ministre envoyé à l’ARTP indique pour prétexte à cette décision, le besoin « d’éviter de freiner cet élan et cette belle avancée technologique, et compte tenu du délai relativement court ».
Si cette déclaration est le seul prétexte impliquant la décision, cela démontrerait encore une fois un manque de vision du secteur par nos autorités. D’abord cet élan et cette belle avancée technologique dont elles parlent ne sont actuellement qu’au bénéfice d’une infime partie des abonnés au mobile (1 à 5%). Ensuite les opérateurs ont eu suffisamment de temps pour dérouler les tests nécessaires.
Rappelons simplement que la phase test a démarré depuis octobre 2013 et tous les opérateurs avaient au moins 15 mois pour mesurer leur capacité à déployer cette technologie.
Tests concluants chez les opérateurs
Orange a été le premier opérateur à se lancer en octobre 2013. Tigo n’a démarré sa phase pilote qu’en décembre 2014, ne disposant ainsi que de 28 jours pour dérouler le processus. Du côté de Expresso, nous n’avons eu aucune information si oui ou non des tests ont été effectués à leur niveau.
Durant cette phase pilote, la rédaction d’ITmag a pu à travers des terminaux fournis par Orange et Tigo mesurer les débits Internet de leurs réseaux 4G respectifs. Les résultats obtenus par notre équipe dans de nombreuses localités à Dakar ont été satisfaisants. Les débits sont allés jusqu’à 33 mégabits/seconde en download et 14 mégabits/seconde en upload. A Touba, également, durant la période du Magal, les réseaux 4G des opérateurs Orange et Tigo ont été déployés dans quelques zones stratégiques. Même si, comme nous l’avions déploré à l’époque, il y avait une publicité à outrance dans la mesure où la 4G n’était accessible que par une clientèle triée sur le volet.
Autre élément à souligner, des coupures sont notées par moment sur le réseau 4G, mais sans grand gène puisque nous sommes en phase pilote. Nous y reviendrons dans un dossier complet concernant les tests que nous avons effectués un peu partout.
Cafouillage au sommet
Nous pensons que cette phase pilote devrait être aujourd’hui un effet transitoire pour permettre à l’ARTP et à la l’Etat du Sénégal de bien se préparer et être en mesure dès sa clôture de fixer aux opérateurs les conditions d’accès et de commercialisation de cette technologie. Dans cette affaire, tout le monde est perdant. Les opérateurs ne pourront pas encore commercialiser une technologie qui est pourtant prête et fonctionnelle. Les consommateurs sont toujours dans une attente incertaine, et qui pour la plupart, plus le débit est important plus les usages suivent. L’Etat du Sénégal perd aussi de l’argent inutilement, pas parce que les opérateurs font de la gratuité, mais du fait du retard sur la phase commerciale qui aura pour conséquence l’augmentation des recettes fiscales. Il s’y ajoute également, la date repoussée pour une vente d’une ou des licences qui feraient rentrer des dizaines voire des centaines de milliards dans les caisses du trésor public.
Le régulateur au banc des accusés
Au lendemain du lancement par Orange de sa phase pilote, l’ARTP avait publié un communiqué, pour préciser : « qu’aux termes de cette phase pilote, chacun des opérateurs communiquera à l’ARTP un rapport d’évaluation détaillé portant sur la qualité de service. Par la suite, le gouvernement étudiera les modalités d’attribution des licences 4G aux opérateurs existants et/ou à de nouveaux opérateurs, en privilégiant la couverture du territoire et la qualité de service ». Donc à ce jour, si le processus était bien respecté, nous n’en serions pas là. L’opérateur Orange a publié sur un site dédié quelques éléments de son expérience 4G. Nous espérons que Tigo suivra la même logique.
Ce cafouillage au sommet est tout simplement préjudiciable au développement de l’économique numérique à l’heure où on parle de rupture et d’émergence.
Mountaga Cissé
(Source : ITmag, 17 janvier 2015)