38 pays africains ont intégré le partage des infrastructures télécoms dans leur réglementation… et pourtant rien ne bouge
mercredi 17 janvier 2024
Le partage des infrastructures télécoms mobiles en Afrique est freiné par la réticence des opérateurs leaders à perdre leur suprématie et par les craintes des régulateurs face aux risques anticoncurrentiels. Cette solution permettrait pourtant d’améliorer plus vite la qualité de service et le taux d’accès au numérique.
Bien que dans la plupart des pays africains, le partage des infrastructures télécoms mobiles a été intégré dans les réglementations du marché, cette approche de bon sens tarde à se matérialiser pleinement sur le continent, en raison notamment de l’attachement des opérateurs à conserver leurs positions dominantes et des craintes de pratiques anticoncurrentielles de la part des régulateurs, souligne un rapport publié le 9 décembre par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « Pourquoi l’Afrique tarde à réaliser le potentiel du partage d’infrastructures télécoms », le rapport précise que le partage des infrastructures télécoms mobiles présente de nombreux avantages, dont l’augmentation du taux de couverture du réseau mobile, l’amélioration de la qualité des services sur laquelle les régulateurs ne cessent d’insister depuis plusieurs années ou encore la réduction des coûts d’exploitation pour les différents opérateurs.
En 2012, le cabinet de conseil en stratégie Booz & Company (devenu Strategy& après son rachat par PricewaterhouseCoopers) indiquait déjà qu’un opérateur de réseau peut économiser jusqu’à 40 % des dépenses d’investissement avec le partage d’infrastructures télécoms.
Un opérateur de réseau peut économiser jusqu’à 40 % des dépenses d’investissement avec le partage d’infrastructures télécoms.
La Société financière internationale (SFI) estime, quant à elle, que les flux de trésorerie des opérateurs de réseaux pourraient augmenter de 31 % grâce à ce partage.
Le rapport indique également qu’il existe deux types de partage d’infrastructures télécoms mobiles. Il s’agit en premier lieu du partage d’infrastructures passif qui revient à partager des infrastructures non électroniques telles que des tours, des poteaux, des conduits et des locaux. Mais tout le système électronique actif du réseau demeure la propriété exclusive de chacun des opérateurs partenaires. Cette forme de partage est techniquement la plus simple, mais elle offre moins de possibilités d’économies que le partage actif des infrastructures qui, lui, comprend en plus les infrastructures électroniques telles que les commutateurs et les nœuds d’accès radio.
Selon les données de l’Union internationale des télécommunications (UIT), 38 pays africains ont déjà intégré le partage des infrastructures télécoms mobiles dans leurs réglementations du marché, afin d’encourager la mutualisation des investissements entre les différents opérateurs télécoms et de favoriser une utilisation plus judicieuse des capitaux.
Deux obstacles majeurs
Cette forte adoption réglementaire reste cependant peu efficace sur le terrain, freinant les ambitions africaines de connectivité accessible pour tous et de transformation numérique. Cette difficulté a d’ailleurs poussé le Ghana à adopter une nouvelle approche : créer une société d’infrastructures télécoms partagées neutres. A travers cette société, l’Etat mettra les infrastructures télécoms et les réseaux télécoms adéquats à la disposition des opérateurs qui n’auront plus qu’à s’y appuyer contre rémunération mensuelle ou annuelle pour fournir leurs différents services aux populations.
Les deux principaux obstacles à un partage des infrastructures télécoms mobiles plus efficace sur le continent sont le désir de leadership des opérateurs et les appréhensions des régulateurs quant au risque de collusion pouvant mettre en danger la concurrence.
Les différents opérateurs télécoms présents désirent avant tout gagner le plus de parts de marché possible et asseoir leur domination. Avoir une plus grande empreinte commerciale est pour eux la garantie d’un plus grand parc d’abonnés et donc de revenus plus conséquents. De ce fait, partager quelques sites télécoms physiques est encore tolérable, mais permettre aux concurrents d’exploiter sa présence technique pour atteindre des niches de marchés jusqu’alors exclusifs est plus délicat, même contre rétribution. Les revenus générés en tant que seul acteur présent sur une niche de marché sont plus intéressants. Cela explique d’ailleurs pourquoi le partage d’infrastructures télécoms passives est plus répandu que celui des infrastructures actives.
D’autre part, les régulateurs de plusieurs marchés africains ne veillent pas à une application rigoureuse des réglementations prévoyant le partage des infrastructures actives par excès de prudence. D’autant plus qu’il s’agit à leurs yeux d’un signe avant-coureur de collusion commerciale et d’un risque accru de comportements anticoncurrentiels.
Le rapport élaboré par notre confrère Muriel Edjo fait remarquer dans ce cadre que le principal défi à relever en Afrique, comme dans plusieurs autres marchés télécoms, concerne le réaménagement de la réglementation pour établir les conditions qui maximisent les avantages du partage des infrastructures et minimisent ses inconvénients.
Une nouvelle approche est d’autant plus nécessaire que plusieurs études ont conclu que le partage obligatoire des infrastructures s’est avéré contre-productif, étant donné qu’il conduit souvent les opérateurs à s’engager dans une collaboration passive pour respecter les exigences réglementaires minimales et les rend hésitants à investir dans de nouveaux réseaux ou à s’engager dans la mise à niveau des réseaux et le développement technologique en raison de l’absence d’incitations institutionnelles.
A contrario, dans des contextes où une approche « plus douce » a été adoptée ou dans ceux où le partage des infrastructures n’était pas du tout obligatoire, des pratiques de partage économiquement efficaces et basées sur des négociations commerciales ont émergé au fil du temps avec les encouragements des régulateurs.
(Source : Agence Ecofin, 17 janvier 2024)