24 Février 2019-23 Février 2020 : Il y a 1 an se tenait au Sénégal une élection présidentielle dont le résultat était programmé à l’avance
dimanche 23 février 2020
On nous annonçait déjà l’issue du scrutin en juillet 2018 avec un score de 57%, résultat republié dans un réseau social en janvier 2019. Le jour du scrutin, quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, le représentant du candidat Macky Sall, à la surprise générale, annonçait la victoire à 57% au minimum. Au final, il a été de 58,26%.
Ainsi donc, les prévisions de la coalition au pouvoir sur le résultat de l’élection présidentielle du 24 février 2019 depuis 2018 n’étaient du hasard encore moins de l’improvisation.
A l’analyse, le résultat final de cette élection présidentielle est la conséquence d’une stratégie électorale conçue et mise en œuvre par un appareil très organisé, centralisé et hiérarchisé. Cette dernière était top secrète, même certains hauts responsables du parti au pouvoir en ignoraient l’existence. Quant aux partis d’opposition, elles n’en avaient aucune idée.
Cette stratégie électorale reposait sur trois piliers : 1) se constituer un corps électoral sur mesure ; 2) Priver de vote le maximum d’électeurs qui ne figure pas dans ce corps électoral ; 3) Fidéliser et concrétiser le vote de ce corps électoral par l’argent.
Cependant, cette stratégie électorale de la coalition au pouvoir pour gagner au 1er tour n’avait aucune chance de réussite sans la collecte et le traitement des données personnelles des électeurs sénégalais en particulier l’opinion politique.
Le fichier électoral, outil qui permet d’exercer le droit de voter, n’est constitué que de données personnelles qui permettent d’identifier l’électeur et de le localiser. Aussi, quel que soit la maitrise qu’on a du fichier électoral, il ne peut pas permettre de gagner une élection.
En effet, le fichier électoral ne contient pas la donnée la plus importante d’une élection : l’opinion politique de l’électeur en d’autres termes son intention de vote.
Aussi, pour lever cette incertitude et maitriser cette variable fondamentale pour la réussite de la stratégie électorale de la coalition au pouvoir, fut votée, la loi n°22/2018 portant révision du code électoral instituant le parrainage.
Cette loi, au-delà de la possibilité d’éliminer des candidats, a permis de légaliser la collecte de promesses de vote démarrée un an auparavant par la coalition au pouvoir.
Le retour du terrain des formulaires de collecte de données effectués par 4630 personnes serviront à alimenter la base de données certainement crée avec le logiciel « Momento » du conseiller en « Analyse de données » du candidat Macky Sall, la société française Spallian.
Cette puissante base de données constituée de 3600000 parrains utilisée dans le logiciel Corto de Spallian, génère une cartographie dynamique de l’électorat potentiel qui sera croisée avec le fichier électoral pour avoir un corps électoral sur mesure en faveur du candidat Macky Sall.
Ainsi, cette coalition n’est pas allée chercher de façon aléatoire de probables électeurs pour mettre en œuvre une communication politique de proximité très efficace basée sur l’argent et les dons en nature.
Enfin, le troisième pilier de cette stratégie pour gagner l’élection était de priver de vote le maximum d’électeur n’étant pas dans cette base de données par la mauvaise distribution des cartes d’électeur pour ne pas dire leur rétention, la non inscription d’électeurs dans le fichier et la modification unilatérale de la carte électorale.
La stratégie électorale du candidat Macky Sall, légalisée par la loi n°22/2018 portant révision du code électoral, devient ainsi un vote public, référendaire, laissant présager du résultat de l’élection présidentielle proprement dit avant le jour du scrutin.
Une élection piégée en amont dont le résultat final est conforme à l’objectif recherché : Gagner au 1er tour.
Ainsi donc, l’élection présidentielle du 24 Février 2019 n’a été que la consécration d’une stratégie électorale pilotée par la société française Spallian basée sur le « Big data » : la collecte et le traitement de données personnelles des électeurs sénégalais.
Cependant, l’intégrité de l’élection présidentielle du 24 février 2019 n’aurait pas été entachée, si la Commission de Données Personnelles (CDP), autorité administrative indépendante, s’était montrée garante du traitement à des fins spécifiques, licites, loyales et transparentes des données personnelles des électeurs sénégalais.
En effet, cette collecte et traitement de données personnelles des électeurs étant susceptible, par nature, de porter atteinte à la liberté de vote, au secret du vote, au droit de prendre part aux élections sans distinction ni discrimination, au droit d’être à l’abri de la peur et de l’intimidation, interdite par principe par la loi, devait faire l’objet d’un niveau de protection élevé par la CDP.
Il n’en fut rien. La campagne de collecte de données personnelles par les candidats à l’élection présidentielle du 24 février 2019 se déroula ainsi dans l’illégalité la plus totale.
Enfin, il est à noter que la réussite d’une telle stratégie électorale a été, facilitée par une opposition morcelée, désorganisée, manquant cruellement d’expertise en stratégie électorale à l’heure du « big data », toujours dans l’informelle mais surtout sans courage politique.
Aussi, il appartient à l’opposition de se mettre à jour même si la coalition au pouvoir a déjà une bonne longueur d’avance. A défaut, cette coalition est assurée d’avance de gagner toutes les élections à venir, par la réutilisation de ces bases de données destinées à capturer la volonté des électeurs et l’opposition continuera à parler d’élections truquées sans convaincre personne.
Le parti au pouvoir au Sénégal a été pionnier dans la collecte et le traitement des données personnelles des électeurs pour gagner une élection en Afrique de l’Ouest, aussi, en tirant parti de l’expérience du Sénégal d’autres pays sont sur la même voie.
Déjà en Côte d’Ivoire et en Guinée la même stratégie électorale se prépare discrètement comme au Sénégal pour assurer la victoire du parti au pouvoir, ce qui explique le forcing pour une 3ème candidature.
La démocratie dépend de la place publique, d’un débat ouvert et collectif, aussi, toute stratégie électorale basée sur la collecte et le traitement des données personnelles des citoyens à des fins de profilage politique pour gagner une compétition électorale, contourne la place publique et porte atteinte à la transparence et à l’intégrité du processus électoral.
Des lors, ce qui constitue le fondement même de la démocratie, doit être restauré et renforcé en perspectives de prochaines élections. Aussi, il y a l’urgente nécessité d’actions immédiates pour déconstruire cette machine électorale de la coalition au pouvoir aux fins de préserver des élections libres, transparentes et inclusives au Sénégal et en Afrique.
Par conséquent, pour freiner cette démocratie sénégalaise en marche arrière, l’ASUTIC formule les recommandations suivantes :
- Veiller à ce que les données personnelles collectées par les candidats, pendant la campagne de parrainage, lors de la présidentielle de février 2019, soient détruites sous le contrôle d’huissiers de justice. Aucune trace de ces électeurs ne doit être conservée par les candidats, les partis politiques ou les coalitions.
- Mieux encadrer la mise en œuvre du parrainage lors des prochaines élections par l’application stricte de la loi sur la protection des données personnelles ;
- Renforcer les capacités des acteurs politiques sur les enjeux de la collecte des données personnelles en contexte politique et électoral ;
- Sensibiliser les citoyens électeurs afin qu’ils prennent conscience des risques liés à la collecte et à l’utilisation de leurs données personnelles en période électorale.
- Enfin, Il est urgent d’adapter notre législation électorale à l’ère numérique en renforçant la protection des données personnelles en contexte politique et électoral.
C’est un chantier de la plus grande importance qui ne peut être remis à demain, au risque de continuer à assister à une manipulation des électeurs pour un faire-valoir démocratique comme ce fut le cas de l’élection présidentielle du 24 Février 2019.
Fait à Dakar, le 23/ 02 / 2020
Le Président Ndiaga Guèye
(Source : Blog de l’ASUTIC, 23 février 2020)