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Olivier Sagna, Maître de conférences à l’EBAD-UCAD : « La société de l’information est une réalité qui se développe sous nos yeux »

lundi 24 octobre 2011

Il est... historien de formation, mais s’intéresse aux Technologies de l’information et de la communication (Tic) depuis plus de quinze ans. Avant que le Sénégal ne soit complètement connecté à Internet en mars 1996. Membre fondateur du chapitre sénégalais d’Internet society (Isoc-Sénégal), et de la nouvelle Commission nationale de la connectivité, Olivier Sagna, Maître de conférences à l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Ebad) de l’Université de Dakar, remonte le temps, dans cet entretien, pour évoquer les premiers pas de l’Internet au Sénégal.

Quels souvenirs gardez-vous de vos premiers contact avec Internet ?

« J’ai véritablement découvert Internet à l’occasion d’une conférence organisée par l’Aupelf-Uref (devenue l’Auf) à la Sorbonne, en 1993, sur le thème « Des réseaux documentaires aux réseaux d’information ». Après en avoir découvert les potentialités à cette occasion, je n’ai cessé de m’y intéresser et ai décidé d’en faire mon champ d’intérêt scientifique, en tant qu’universitaire. J’ai ainsi suivi de prés la connexion expérimentale du Sénégal à Internet en mai 1995, à l’occasion du Troisième sommet Africain Africain-Américain qui s’était tenu à Dakar, et j’ai participé au VI Sommet de la Francophonie, en novembre 1995, au Bénin, à l’occasion duquel les chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage se sont engagés « à promouvoir un espace francophone dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication » dans la « Déclaration de Cotonou » et où j’ai présenté une communication intitulée « Le rôle des inforoutes dans le rééquilibrage des termes de l’échange en matière d’information ». C’est également en cette année 1995 que j’ai eu ma première adresse électronique qui me permettait de me connecter à Internet via le Minitel ! A l’époque, il n’y avait guère que quelques dizaines de personnes qui possédaient des adresses électroniques au Sénégal soit via le réseau Rio de l’Orstom (devenu l’Ird) soit via le réseau GreenNet dont Enda Tiers-Monde était le nœud au Sénégal ou encore via l’Aupelf-Uref, avant que le Sénégal ne soit complètement connecté à Internet par la Sonatel, en mars 1996. Le fait que je m’intéresse aux technologies de l’information et de la communication (Tic) depuis maintenant plus de quinze ans fait que nombre de personnes pensent que je suis informaticien, alors que je suis... historien de formation ! »

Quel était le coût et l’effort que vous déployiez pour avoir l’internet à Dakar ?

« Entre 1996 et 2003, les obstacles étaient nombreux pour se connecter à Internet, à commencer par le coût des ordinateurs dont le prix représentait plusieurs mois de salaire de l’enseignant à l’université que j’étais. Ensuite, le téléphone, était difficilement accessible du fait des frais de raccordement et des délais pour obtenir une ligne. Entrait également en considération le prix de l’abonnement à Internet qui, s’il n’était pas trop coûteux (de l’ordre de 8.000 à 10.000 FCfa selon les fournisseurs de services Internet), se voyait augmenté par le prix des communications locales en fonction de la durée de connexion. A l’époque, il fallait se connecter avec un modem et les débits étaient très lents, de 1200 bits par seconde à un maximum de 56 kbps, ce qui ne permettait pas de naviguer facilement sur Internet, ni de télécharger des fichiers trop volumineux. A l’Université, il y avait très peu d’endroits où il y avait des ordinateurs et encore moins d’endroits où la connexion à Internet était possible. En dehors de l’Université, il y avait quelques cybercafés, dont le Métissacana, premier cybercafé d’Afrique de l’ouest, inauguré en juillet 1996, dans les quels les connexions étaient lentes, car un grand nombre d’utilisateurs, payant des frais de connexion de l’ordre de 1500 FCfa de l’heure, se partageaient des liaisons spécialisées dont le débit a progressivement évolué de 64 kbps à 2 mégabits par seconde et dont les tarifs étaient exorbitants pour les exploitants de cybercafés, quand on se rappelle qu’en 1996, il fallait payer mensuellement 1.064.000 FCfa pour une liaison à 64 kbps et qu’en 2000, une liaison à 2 mégabits coûtait 3.600.000 FCFA par mois !

Enfin, à cette époque, l’analphabétisme numérique, c’est à dire l’incapacité à utiliser un ordinateur et à naviguer sur Internet, était beaucoup plus répandu qu’il ne l’est aujourd’hui. Dans ce sens, il faut se réjouir, même s’ils restent insuffisants, des efforts faits par l’Etat, les collectivités locales, la coopération internationale, le secteur privé, les Ong, etc. pour diffuser les Tic dans la société ».

Au début, la création de sites web était également très onéreuse au Sénégal. Quelles sont vos expériences dans ces difficultés d’accès aux noms de domaines, à la création de sites web, etc.

« Dans les années 1996 à 2000, disposer de son propre site web était plutôt compliqué ! Soit il fallait savoir programmer en langage Html avec des logiciels comme FrontPage, Dreamweaver ou Cool Fusion, ce qui n’était pas à la portée de n’importe qui ou alors il fallait payer pour se faire faire un site web, ce qui pouvait coûter entre quelques centaines de milliers de francs et un à deux millions. De plus, les sites étaient statiques et les mises à jour complexes à réaliser pour un non spécialiste et nombre de sites étaient rarement voire jamais mis à jour après leur mise en ligne. Pour l’essentiel, seuls les entreprises, l’administration, les organismes internationaux, la presse (Le Soleil, Sud Quotidien et Wal Fadjri) et quelques Ong possédaient des sites web. Bien peu de particuliers en avaient et, au mieux, certaines personnes avaient des pages personnelles sur des sites comme Geocities ou Yahoo. Pour ce qui est du nom de domaine en .sn, après avoir été géré entre 1992 et 1996 par l’Orstom, il a ensuite été géré par l’Ucad via l’Ensut (devenue l’Esp). Compte tenu du fait que la structure assurant sa gestion, le Nic Sénégal, n’avait pas de budget de fonctionnement, cela a eu pour conséquence de renchérir le coût des noms de domaines avec des tarifs de l’ordre de 50.000 FCfa, alors qu’ailleurs, dans les pays développés, les noms de domaines se vendaient à moins de 10.000 FCfa. Au fil des années, les cybercafés se sont multipliés, permettant une certaine démocratisation de l’accès à Internet, comme les télécentres avaient permis de démocratiser l’accès au téléphone avant l’arrivée de la téléphonie mobile. La multiplication des cybercafés a été rendue possible par la baisse des tarifs des liaisons spécialisées (Ls), l’arrivée des ordinateurs de seconde main sur le marché et, à partir de mars 2003, le lancement de l’Adsl offrant des débits plus élevés à des coûts bien plus abordables.

Après la création des cybercafés, maintenant ce sont les blogs, le boom des sites web, les réseaux sociaux, etc. Quel regard portez-vous sur cette démythification de l’Internet...

« L’arrivée de l’Adsl a permis aux cybercafés de faire baisser le prix de l’heure de connexion autour de 250 FCfa à Dakar, ce qui a contribué à populariser Internet chez les jeunes. Des applications comme Net2phone ont permis de commencer à faire de la téléphonie sur Ip, réduisant ainsi le coût des télécommunications internationales, bien avant que Skype ne fasse son arrivée sur le marché. De son côté, l’apparition des blogs, au début des années 2000, a permis à un grand nombre d’individus de s’exprimer facilement sur le web au quotidien, ce qui n’était guère possible auparavant. On a ainsi vu apparaître le journalisme citoyen, à savoir de simples citoyens utilisant ces outils pour véhiculer des informations de toutes natures, de plus en plus utilisées ou réutilisées par les journalistes professionnels ou encore des journalistes exprimant sur leurs blogs ce qu’ils ne pouvaient pas dire, pour un raison ou pour une autre, dans les médias dans lesquels ils travaillaient. Cela étant, les outils évoluant très vite, les blogs sont en passe d’être remplacés ou du moins dépassés par les réseaux sociaux numériques comme Facebook (apparu en février 2004), Youtube pour la diffusion de vidéo en ligne (créé en février 2005) ou encore Twitter (né en juillet 2006) et qui permet d’envoyer des messages de type sms (140 caractères au maximum) sur Internet.

Aujourd’hui, on parle de révolution facebook...

Ces outils, qui ont joué un rôle important dans le « Printemps arabe », en Tunisie puis en Egypte, au point que l’on a parlé de « Révolution Facebook », sont aujourd’hui très largement utilisés, notamment par les jeunes, du fait de leur facilité d’utilisation. Désormais, il n’est plus nécessaire de connaître le langage Html ou tout autre langage pour s’exprimer sur le web, y mettre des photos, des vidéos, etc. D’abord utilisés par les jeunes, ils l’ont rapidement été par les hommes politiques à l’image de Barack Obama des Etats-Unis que d’aucuns qualifient de « Président 2.0 », mais également par les entreprises ou encore le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme en témoigne la présence d’un organisme comme le Codesria sur le web, mais aussi sur Facebook, Youtube et Twitter. Ces applications sont de plus en plus utilisées par la jeunesse, en Afrique comme ailleurs dans le monde, par ceux que l’on appelle les « Digital natives », ces générations qui sont nées et ont grandi avec ces outils qui leur sont familiers, contrairement à leurs parents qui s’en méfient, voire en ont peur, lorsqu’ils n’en ignorent pas le fonctionnement voire même l’existence. Mieux, avec le développement de l’Internet mobile, grâce notamment aux smartphones (les téléphones intelligents) du type Iphone, Blackberry, Samsung Galaxy, Nokia E6, etc., nombre de jeunes sont désormais connectés quasiment en permanence sur ces réseaux sociaux qui constituent une extension virtuelle du monde réel dans lequel ils vivent. Dans un pays qui compte plus de 9 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, soit un taux de pénétration de l’ordre de 77%, cela donne une idée de ce que sera le taux de pénétration d’Internet via ce canal dans les prochaines années. D’ores et déjà, près de 25% des connexions à Internet se font via la 3G et il est clair que ce chiffre ne va cesser de croître. Tout cela contribue à démythifier et à banaliser les Tic d’une manière générale et Internet en particulier, d’où l’intérêt croissant qui portent la classe politique avec une multiplication de pages Facebook, sans parler du succès des portails d’information en ligne qui, quelque part, inquiètent voire menacent la presse classique.

Les sites web d’entreprises, les pages dédiées, les blogs spécialisés, les réseaux sociaux, etc., quelle part occupent les Tic dans la vie des Sénégalais ?

« Le secteur des Tic occupant une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne de nombre de Sénégalais et de Sénégalaises, qu’ils en soient conscients ou pas, tout une série de sites web et de blogs spécialisés autour des questions de Tic se sont développés. Tout cela montre que la société de l’information n’est pas une utopie, mais bien une réalité qui se développe sous nos yeux, impactant différents aspects de la vie quotidienne d’un nombre croissant de Sénégalais, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, urbains et ruraux, pauvres et riches, avec, bien entendu, de grandes inéquités, ce qui implique la mise en œuvre de politiques publiques, tant par l’Etat que par les collectivités locales dont le principal objectif doit être de rendre la société de l’information plus inclusive, plus solidaire, plus abordable, plus accessible, en un mot une société de l’information tournée d’abord et avant tout vers le développement social et non vers le simple développement technologique et économique. En effet, il faut toujours garder à l’esprit que dans l’expression « Société de l’information », le mot le plus important est « société » et non pas « information ». Tout ce qui touche la société de l’information ayant quasiment des implications d’ordre sociétal, même lorsque les questions semblent être d’ordre technique, tous les citoyens devraient s’y intéresser sans distinction de sexe, d’âge, de catégorie sociale, de niveau d’éducation, de profession, etc., car il en va de leur présent et de leur avenir. Dès lors, il ne saurait être question de laisser les techniciens, aussi qualifiés soient-ils, ou même les politiques, quelle que soit leur légitimité, en décider à la place de chacun d’entre nous. »

Propos recuillis par Omar Diouf

(Source : Le Soleil, 24 octobre 2011)

Post-Scriptum

Membre fondateur du chapitre sénégalais d’Internet Society

Je suis Maître de conférences à l’Ecole de bibliothécaires, archivistes et documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Je suis actuellement Administrateur de programme au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) et Secrétaire général de l’Observatoire sur les systèmes d’information, les réseaux et les inforoutes au Sénégal (OSIRIS) organisation à but non lucratif créée en 1998 qui s’intéresse à toutes les problématiques liées au développement de la Société de l’information au Sénégal, en Afrique et dans le monde. OSIRIS publie une lettre d’information électronique mensuelle intitulée BATIK depuis août 1999 dont je suis le rédacteur en chef. Je gère également le site web OSIRIS et suis membre fondateur du chapitre sénégalais d’Internet Society (ISOC-Sénéal). Membre de la Commission Université Réseaux d’information (CURI) créée en janvier 1996 avec pour mission la connexion de l’UCAD à Internet, j’ai également travaillé à l’USAID-Sénégal de 1998 à 2000 comme Coordinateur de l’Initiative Leland de l’USAID, programme qui visait à connecter les pays africains à Internet. J’ai aussi été Responsable régional des formations au Campus numérique francophone de Dakar (CNFD) de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) de 2000 à 2003 puis Directeur du CNFD de 2003 à 2004. Je viens d’être nommé membre de la Commission nationale de la connectivité, présidée par Alassane Dialy Ndiaye, qui a été tout récemment installée (la semaine dernière - Ndlr). Je suis l’auteur de publications scientifiques portant sur la société de l’information au Sénégal et en Afrique et suis impliqué dans l’élaboration de nombre de réflexions stratégiques visant à promouvoir l’utilisation des TIC et la société de l’information au Sénégal et en Afrique, etc. Enfin j’ai également participé à de nombreuses rencontres nationales et internationales sur les TIC depuis le milieu des années 90...

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INTERNET EN CHIFFRES

- Bande passante internationale : 172 Gbps
- 4 FAI (Orange, Arc Télécom, Waw Télécom et Africa Access)
- 19 266 179 abonnés Internet

  • 18 595 500 abonnés 2G+3G+4G (96,58%)
    • 2G : 12,95%
    • 3G : 24,60%
    • 4G : 62,45%
  • 334 642 abonnés ADSL/Fibre (1,71%)
  • 334 875 clés et box Internet (1,71%)
  • 1162 abonnés aux 4 FAI
  • Internet fixe : 1,74%
  • Internet mobile : 98,26%

- Liaisons louées : 3971

- Taux de pénétration des services Internet : 106,84%

(ARTP, 30 septembre 2023)

- Débit moyen de connexion mobile : 23, 10 Mbps
- Débit moyen de connexion fixe : 21, 77 Mbps

(Ookla, 31 janvier 2023)


- 9 749 527 utilisateurs
- Taux de pénétration : 56,70%
(Internet World Stats 31 décembre 2021)


- + de 10 000 noms de domaine actifs en .sn
(NIC Sénégal, décembre 2023)

TÉLÉPHONIE EN CHIFFRES


Téléphonie fixe

- 3 opérateurs : Sonatel, Expresso et Saga Africa Holdings Limited
- 382 721 abonnés
- 336 817 résidentiels (88,01%)
- 45 904 professionnels (11,99%)
- Taux de pénétration : 1,67%

(ARTP, 30 septembre 2023)

Téléphonie mobile

- 3 opérateurs (Orange, Free et Expresso)
- 21 889 688 abonnés
- Taux de pénétration : 123,34%

(ARTP, 30 septembre 2023)

FACEBOOK

3 050 000 utilisateurs

Taux de pénétration : 17,4%

- Facebook : 2 600 000

- Facebook Messenger : 675 200

- Instagram : 931 500

- LinkedIn : 930 000

- Twitter : 300 000

(Datareportal, Janvier 2023)

PRÉSENTATION D’OSIRIS

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